J’ai fait allusion à la réception à l’ambassade d’Allemagne, le 7
septembre 1941, de quinze personnalités françaises, parmi lesquelles six
synarques - ministres recensés sur la liste Chavin des « 46 affiliés
les plus importants » : Barnaud, délégué général aux relations
économiques franco-allemandes, Jacques Benoist-Méchin, secrétaire d’État
auprès du chef du gouvernement, Bichelonne, secrétaire général (et
futur ministre en avril 1942) de la production industrielle,
Bouthillier, ministre des Finances, Lehideux, ministre de la PI
(successeur de Pucheu), et Pucheu, ministre de l’intérieur. Les autres
hôtes, industriels ou/et banquiers ès-qualités, le plus souvent
présidents du comité d’organisation de leur branche, étaient également
synarques, plus ou moins notoires, tel Henri Ardant, président de la
Société générale et du comité d’organisation des Banques [78].
Cette manifestation mondaine franco-allemande eut lieu dans la phase
la plus intense de la collaboration. L’enthousiasme avait été délirant
depuis les premiers mois de 1941, pour la guerre prévue et attendue
contre l’URSS : c’était la cible obsessionnelle, depuis novembre 1917,
de la grande bourgeoisie française en général et de la synarchie en
particulier. À la fin de l’été 1941, l’allant pro-allemand demeurait
très élevé, bien que le Blitzkrieg apparût
déjà en difficulté à l’Est. On était fort avancé dans la mise en œuvre
des vastes projets « européens » communs, des cartels aux sociétés
mixtes en passant par les cessions de titres français aux financiers
allemands et les aryanisations partagées [79].
À cette occasion, « le banquier Ardant exprim[a], d’accord avec Pucheu
et Bichelonne, l’espoir que les plans allemands seraient assez vastes
pour décider la suppression des frontières douanières et créer une
monnaie unique pour l’Europe. “Cette prise de position sans équivoque du
président de la Société Générale qui doit être actuellement désigné
comme le premier et le plus important des banquiers français semble
particulièrement importante” », commenta le rédacteur allemand du compte
rendu [80].