L’univers de nos enfants ressemble à un triangle dont les trois pointes (famille-école-société), reliées entre elles par des canaux de communication, jouent le rôle de miroirs ou de foyers d’expérience au service de chacun dans sa recherche d’identité et dans la construction de sa personnalité.
Comme tout organisme vivant, cet univers à trois têtes développe, quand il se nourrit mal, des maladies dont les symptômes sont généralement les suivants : nécrose de l’une ou l’autre pointe ou obstruction des canaux qui, privés de leur rôle de communication (entre chacune des trois têtes), provoquent naturellement l’apparition d’un double – voire d’un triple – langage, créant ainsi autour de l’enfant ( grand ou petit) un univers paradoxal, angoissant et déséquilibrant, dont il pourra manifester le rejet par une fuite hors du triangle.
Cette rupture avec l’école, la famille ou la société n’est pas définitive au premier stade de la maladie, chacune des trois composantes pouvant à sa manière jouer le rôle de « rééquilibrant », notamment
par le biais de la pensée, et surtout d’une communication plus adaptée à la situation et à l’âge de l’enfant ou de l’adolescent en souffrance.
C’est malheureusement le viatique qu’un très grand nombre de familles, prises dans l’engrenage de la consommation (encouragée et sauvage) et de la suractivité, n’arrivent plus à administrer correctement.
C’est aussi ce que le pouvoir politique, toujours très mal à l’aise quand lui demande de trouver les moyens d’insuffler dans l’esprit de la jeunesse autre chose que l’idée d’un bonheur matériel, refuse d’entreprendre dans un esprit volontariste.
C’est enfin ce que l’école voudrait elle aussi appliquer, mais elle passe autant de temps à réparer les dégâts – intellectuels et humains - provoqués par les dérives sociétales et les diverses formes de détresse familiale qu’à assurer les compétences réclamées à grands cris par le monde étouffant des entreprises et par les universités.
Climat délétère
Ainsi règne-t-il dans les écoles un climat délétère, où le savoir, le savoir-faire et le savoir-être se disputent une place que personne n’arrive à délimiter avec précision.
L’instruction ne peut se dérouler dans un tel climat, avec en outre des élèves tellement encouragés (par le système commercial) à acquérir sans peine et rapidement ce qu’ils désirent que certaines règles de base leur semblent démesurées et le travail intellectuel beaucoup trop exigeant, en termes de patience et de rigueur. Les classes baignant par conséquent dans un climat de restriction et de pression permanente au profit de l’effort, il devient pratiquement impossible d’y créer une « émotion positive . C’est extrêmement préoccupant, car l’émotion est en réalité le plus beau tremplin d’une saine pédagogie. On ne fait bien que ce qu’on aime. On n’explique bien que ce qu’on sent. On ne sent bien que ce qu’on vit...
Or les enfants sont à notre égard d’une lucidité impitoyable. Ils s’intéressent à ce que nous SOMMES, avant de s’intéresser à ce que nous disons. Et ils voient que nerveusement, psychologiquement, leurs parents et (ou) leurs professeurs s’épuisent ou le sont déjà. Il faudrait donc, de toute urgence, que nous redevenions des VIVANTS, au sens psychologique du terme.
Créer à l’avenir des conditions de vie qui nous rendent fraîcheur et enthousiasme est du ressort de chacun, dans la mesure de ses forces, de sa qualité d’âme et de ses ambitions. Il est aussi, bien entendu, du ressort de ceux qui ont le pouvoir d’assurer notre bien-être matériel...sans pour autant détruire notre humanité.
Comme le soulignait Bertrand Vergely, « l’homme digne est celui qui ne perd pas l’homme profond. Ceux qui en parlent le mieux sont les exclus. Ils se moquent d’avoir tout perdu. Il y a une chose dont ils ne se moquent pas : celle de perdre leur dignité. Ils ont tout compris. On a tout quand on a sa dignité » (Bertrand Vergely, Petite philosophie pour jours tristes, éd. Milan, p.272).