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Commentaire de Mélusine ou la Robe de Saphir.

sur On n'est pas sorti de l'auberge...


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Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 avril 2020 11:31

Troisième surprise : la nature reprend son cours

Le changement de mode de vie radical que nous impose la pandémie représentait un saut dans l’inconnu à l’échelle collective. Pour ceux qui ont la chance de bénéficier d’un logement non précaire, ce changement est une expérimentation. J’étais irrité par la perspective de vivre cloitré, mais force est de constater qu’on survit plutôt bien que mal dans cette société plus lente, qui a moins à offrir et où l’on consomme moins. On retrouve le temps pour une série de besoins, certes peu productifs, mais qui contribuent à donner un équilibre organique à nos journées. Ce cours naturel n’est pas repris que par les humains, mais également par la faune et la flore. Venise se rend à nouveau célèbre pour l’eau cristalline et animée de vie de ses canaux, les Parisiens s’étonnent du chant des oiseaux enfin rendu audible, et l’air que nous respirons tous se fait plus pur, éclaircissant les clichés satellites de notre continent. Jusqu’à ce qu’on en casse les ressorts pour de bon, et si on lui en laisse l’opportunité, il semble que l’environnement puisse reprendre place parmi les humains.

Renforcer la transition, et changer de grille d’évaluation

Ces surprises cumulées ont eu l’effet d’une douche froide. Il n’est plus possible de se laisser glisser à nouveau dans la torpeur d’une société dont le seul horizon politique est la croissance et qui s’enferme dans la croyance absurde que l’environnement tout entier est sa ressource en propre, librement épuisable. Bien sûr, le temps manque et les agendas saturent. Évidemment, il semble dérisoire de vouloir ramer à contre-courant du système-monde dans lequel nous sommes emmêlés. Certainement, le revers électoral qui pourrait sanctionner un ralentissement de l’économie fait frémir. Ces considérations ne sont que trop humaines, mais elles ne changent rien à la réalité à laquelle nous faisons face : si nous demeurons incapables d’ajuster notre mode de subsistance à l’environnement duquel nous dépendons, les désastres frapperont toujours plus fort et plus souvent. Nous vivons déjà dans un monde où se produit, d’après les Nations Unies, une catastrophe naturelle liée au changement climatique chaque semaine, où des millions de personnes sont forcées à la migration par un environnement devenu hostile, et où l’humain, dont l’empreinte est à présent visible jusque dans les strates géologiques de nos sols, provoque la sixième extinction de masse d’espèces vivantes. L’urgence n’est pas pour demain, elle est pour aujourd’hui.

C’est pour cette raison, Mesdames et Messieurs nos représentants, que j’aimerais vous exhorter à vous saisir de cette relance comme d’une opportunité rare, et à faire de cette sortie de route un départ radicalement nouveau.

Le confinement que nous traversons actuellement est la preuve, s’il en fallait une, que la politique peut encore imprimer des changements radicaux à nos arrangements collectifs, et ces changements être acceptés s’ils sont justes. Il s’agit maintenant de ne pas céder à la panique comme cela a pu être fait lors de la crise financière de 2007-2008, en grevant durablement les finances publiques au profit des principaux acteurs de la crise. Avec les accords de Paris conclus en 2015 et la vision politique esquissée dans le Green Deal approuvé en janvier dernier par le Parlement Européen, notre continent et toutes ses forces politiques se sont donnés le cap et les moyens pour entamer sérieusement la transition. Au lieu de tourner le dos à ces instruments, il faut profiter de la recomposition des lignes politiques pour les faire monter en priorité et accélérer leur mise en œuvre, avec autant de moyens que possible. Cela correspond à la proposition émise ce 24 mars par le Club de Rome de canaliser une partie du budget de la relance directement dans une mise en œuvre ambitieuse du Green Deal.

Néanmoins, de telles mesures phares ne suffisent pas. Il est essentiel de refonder les valeurs qui président à l’ensemble de nos choix politiques, petits et grands. Face à nos réflexes ancrés, cette refondation peut sembler ardue, et elle ne se fera pas instantanément. Puisqu’il faut commencer quelque part, je vous invite à vous prêter, de concert avec tous les citoyens de ce pays, à l’exercice (suivez le lien pour la plateforme de mise en commun gérée par Sciences Po Paris) récemment proposé par le philosophe Bruno Latour, qui prend appui sur l’état de « surprise » dans lequel nous nous trouvons encore mais qui disparaitra après la reprise normale des activités. Posez-vous la question, haut et fort : parmi les activités à présent suspendues, quelles sont celles dont vous souhaiteriez qu’elles reprennent ou, au contraire, qu’elles ne reprennent pas ? S’autoriser cette question, et tirer ensuite jusqu’au bout le fil des autres questions mises au jour par votre réponse –par exemple sur la reconfiguration des emplois et des infrastructures, ou sur l’importance relative des différents besoins–, c’est déjà mettre au défi le retour du business as usual, de son langage automatique


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