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Commentaire de Mélusine ou la Robe de Saphir.

sur La possibilité d'une société fraternelle


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Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 juillet 2020 11:04

Les crèches lieu de socialisation ??? Que nenni, tout le contraire. 

Les fratries actuelles

8Je ne reviendrai pas en détail sur les évolutions de la famille, qui ont été largement soulignées, notamment à partir de la seconde moitié du xxe siècle (les années 1960-1970), et sur leurs effets inévitables sur la subjectivité (Gauchet, 2002 ; 2010), la « famille freudienne », où pouvait se dérouler avec plus ou moins de bonheur le conflit humanisant et socialisant de l’œdipe, ayant été sérieusement mise à mal. Le point central est évidemment la contraception chimique qui a permis la disjonction du sexuel et de la reproduction avec, pour effet, l’accentuation de la baisse de la natalité [8][8]Engagée dès la fin du xviiie siècle, mais passée de 2,9 enfants…, le recul de l’âge de la procréation et les conséquences sur la définition des rôles parentaux : la disparité foncière entre le père et la mère se trouve bousculée, dans une visée d’égalitarisme et de relative indépendance des conjoints, accompagnée de la désacralisation du mariage et de la banalisation du divorce [9][9]Cf. la proposition récente de divorce par greffier, après celle….

9Aujourd’hui que la majorité des enfants naissent hors mariage (54 % en 2010 contre 5,9 % en 1965 [Le Bras, Todd, 2013]), vivent dans une fratrie réduite (un à deux enfants), souvent avec un seul parent, en général la mère (qui assure en plus de la maternité une activité professionnelle dans 85 % des cas en 2011 [ibid.]), parfois dans une famille dite « recomposée » (partiellement ou à temps plein), qu’en est-il de la fraternité dans son rapport, notamment, à la question de l’altérité ?

10Un point qui me paraît essentiel est que, dans ces conditions, la plupart des enfants font aujourd’hui l’expérience de l’altérité non pas au sein de la famille avec des frères et sœurs, dont il faudra admettre qu’ils soient également aimés par les parents, mais, très précocement, à la garderie ou à la crèche, puis à la maternelle, avec des enfants « étrangers », chacun soutenu dans les conflits enfantins par ses parents très chatouilleux à l’endroit de l’exceptionnalité de leur progéniture. Avec les conséquences qui s’ensuivent sur le narcissisme et les effets imaginaires, principalement du côté des conduites agressives. J’avais eu l’attention attirée sur ce point, au début des années 2000, par des directrices de crèche qui s’interrogeaient sur la multiplication des conduites agressives entre les jeunes enfants (Bon, 2003). Du travail mené avec elles, il ressortait ce que la clinique avec les enfants nous enseigne : qu’il résulte de ces nouvelles conditions familiales une éducation qui fait prévaloir la réalisation personnelle de chacun sur la prise en compte des intérêts collectifs, la rivalité et la compétition sur l’entraide et la solidarité. D’où, chez les enfants, une inflation du moi, une exacerbation du narcissisme, le sentiment pour chacun d’être exceptionnel, prioritaire, d’avoir droit à la satisfaction immédiate de toutes ses demandes ; sentiment qui s’accompagne d’une intolérance à la contrariété, d’une incapacité de se mettre à la place de l’autre, d’accepter la réciprocité. Si bien que, paradoxalement, alors que les enfants sont collectivisés de plus en plus tôt, ils sont de moins en moins fraternels. On pourrait dire qu’ils sont « dé-complexés ». « Décomplexé » fut, paraît-il, le mot de l’année 2012 : décomplexée la droite trop timorée, décomplexés les électeurs du Front national, décomplexés les stars du football et leurs supporters, décomplexés les exilés fiscaux, les fumeurs de joints et les conducteurs sans permis, décomplexés les héritiers de Freud qui ont transformé le cabinet de la Berggasse en boutique de produits dérivés où l’on peut acheter aujourd’hui aussi bien un stylo marqué Pr Dr Freud que des pastilles de menthe antihystérie… « Décomplexé » qualifie ainsi une économie psychique où l’on est allégé, sinon débarrassé, des contraintes du sur-moi et des exigences de l’idéal du moi (Melman, 2002). Et d’être ainsi décomplexé permet, évidemment, de s’adapter plus facilement à ce jeu aux règles fluctuantes du capitalisme libéral où l’on peut recevoir ses cartes à la table du bridge et aller les jouer à celle du poker pour se « tirer avec l’oseille » dans un pays accueillant (Bon, 2005). Pour ceux qui sont admis à la table de jeu, évidemment…



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