Aussi devrons donc nous contenter de compréhension réciproque limitée. C’était couru, mais il n’est pas vain de le reconnaître, en ce genre de débat.
Or, gît un paradoxe en ces positions : dans la traque du sens. En ce qui me concerne, je ne peux envisager aucun concept entièrement borné par l’esprit humain. Nécessairement à ma foi, le moindre grain de sable comporte une inconnue indéchiffrable : sa voie d’Absolu, son ouverture à la transcendance... Aussi m’est-il impossible, à fortiori, d’enfermer quiconque dans ses actes ou ses positions doctrinales (son athéisme présupposé, par exemple), j’admets l’inintelligible, la différence, la diversité, irrémédiablement : je ne suis qu’un voile parmi les voiles, qu’une ombre parmi les ombres, limité.
Et c’est un bonheur. Car je puis ainsi m’enrichir de votre point de vue. Même si la communication est elle-même limitée. Jouir le plus précisément possible de ces limites, s’y conformer à tel point que tout s’articule avec aisance, chaque chose à sa place, par approximation progressivement affinée, telle est en définitive le projet de ce qui me relie, ma religion, avec vous, moins sans doute qu’avec mes frères musulmans, mais qu’importe ? Il n’est pas sûr qu’en définitive, nos démarches pratiques demeurent constamment si éloignées l’une de l’autre.
En ce qui vous concerne, votre position n’implique-t-elle pas une traque illimitée du sens ? C’est une question, Bertrand, pas une agression : vous en subissez assez, en la responsabilité que vous avez prise d’animer ce débat... Mais vous parliez plus haut (à propos des recherches sur le cerveau) de description « parfaite » d’un phénomène. Avez-vous lu Virghil Georghiu (la vingt-cinquième heure, la seconde chance, etc.) ? Il y conte notamment l’anecdote d’un fonctionnaire australien « démontrant » le caractère « parfaitement » scientifique des critères de sélection retenus pour les candidats à l’immigration. Ayant gâté toutes ses dents dans l’enfer concentrationnaire, tel candidat se voyait refoulé au nom d’une logique « imparable ». Il eut ce mot : « Et si Mozart venait à vous, dans un même état odontologique ? » Et la réponse, terrible : « Je le refoulerais, sans aucun état d’âme. »
Nous voici rendus, à peu près, au dernier paragraphe de mon petit post à Sunny : Vous avez des convictions : d’où vous vient cette faculté ? N’être sûr de rien semblerait pourtant la seule attitude logique de l’athée. « Une certitude, une seule ! » se lamentait notre pauvre Gide. Voyez-vous le drame de son exigence ?