L’administration de l’Etat, sa façon de fonctionner — bien ou mal — et les effets — nuls ou pas — de son action ne dépendent pas d’elle-même : le rôle d’une administration de l’Etat, est d’abord de faire appliquer la politique du gouvernement en place, que ce dernier agisse par voie réglementaire ou légale.
Tout décret publié doit être appliqué par l’administration.
Toute loi votée par le Parlement doit être appliquée par l’administration.
Y-a-t-il ici quelqu’un d’assez naïf pour penser qu’au moment de l’élaboration d’un projet de décret, d’un projet ou proposition de loi, les modestes fonctionnaires d’Etat — les gens de terrain — sont interrogés sur les éventuelles difficultés opérationnelles de la mise en œuvre ?
Que nenni ; la gouvernance actuelle est basée sur un principe simple : l’intendance suivra. Peu importe si elle n’a ni les outils, ni les moyens, ni les ressources.
Peu importe si l’administration concernée a déjà dix mille lois et dix mille décrets à faire appliquer. On ne supprime rien, on remplace parfois, très souvent on ajoute.
Parce que les élections arrivent bientôt, il est important de pouvoir dire « j’ai décidé ceci ou cela » ou « j’ai fait voté ceci ou cela ». Rappelons-le, cinq ans, c’est court.
A chaque nouvelle présidence, nouveau gouvernement. A chaque fois, chacun arrive avec ses idées, qu’il faut vite vite vite décréter ou faire voter. Pas le temps de consulter.
J’ajoute également que le mode de gouvernance actuelle est atrocement descendant et outrageusement communicant. Les fonctionnaires de terrain sont au courant des nouveaux projets par voie de presse. Bien évidemment, ces nouveaux projets n’ont absolument pas été travaillés en concertation avec le terrain. On pense la France comme si elle était Paris — et je le rappelle, l’intendance suivra.
L’administration de l’Etat n’est absolument pas — dans son ensemble — une entité fainéante aux personnels surpayés à ne rien faire de la journée ou — mieux encore — payée à chercher la petite bête à l’usager pour le plaisir d’occuper son temps. Non, l’administration s’échevèle surtout à essayer de faire appliquer ou d’appliquer des règles dument décrétées ou votées avec les moyens qu’elle a.
Et les moyens de l’administration ne doivent pas être confondus avec les moyens des ministères. Par ministère j’entends le ministère situé à Paris. Pas les administrations déconcentrées qui sont depuis de nombreuses années les lieux où les postes ont été rendus.
Le ministre, lui, si on lui demande de rendre des postes, ne va évidemment pas les prendre à l’endroit où il exerce. Par exemple, Bercy est plein de fonctionnaires très « utiles » au ministre concerné. Lui, ne va pas couper la branche sur laquelle il est assis.
Par contre, couper les branches en dessous le gênera moins. Bizarrement.
L’équation est simple : multipliez les dispositions réglementaires et/ou législatives ; diminuez les moyens alloués — équipements, ressources humaines, moyens technologiques, moyens financiers — et exigez des résultats et une action immédiate sans ne tenir aucun compte des deux précédents points.
A la lumière de tout cela, j’aimerais dire ceci : le citoyen peut critiquer la lenteur de l’administration, la lourdeur de l’administration, son inefficacité ou que sais-je encore.
Mais en faisant ainsi, le citoyen se trompe de cible.
L’administration de l’Etat est aux ordres du président qui a été élu, qui nomme ses ministres (le premier ministre ne les nomme que d’un point de vue constitutionnel — personne n’est assez idiot pour croire qu’il a carte blanche pour choisir tout seul comme un grand son gouvernement).
Avec un peu de chance pour lui, il a « sa » majorité à l’assemblée nationale — ça facilite les choses et avec beaucoup de chance il a aussi le sénat (cf. Hollande).
Avec un peu moins de chance, il a l’une ou l’autre chambre contre lui. Là, c’est plus sportif, mais ça permet quand même d’avoir a minima le champ réglementaire libre.
Dans un cas comme dans l’autre, chaque « camp » a à coeur d’investir le champ du droit pour montrer qu’il est le meilleur afin d’être élu de nouveau. Et cinq ans, ça passe vite.
Alors on décrète pour plaire aux uns, on légifère pour plaire aux autres. Avec une vision parfois très discutable de la notion d’intérêt général qui devrait pourtant être au cœur de la pensée et de l’action politique. On se construit un bilan qu’on pourra vendre aux moments des élections.
Dans ces petits jeux de pouvoir, le petit fonctionnaire chargé d’appliquer n’a pas son mot à dire. Pas plus que n’importe qui d’autre. Dans le privé ou pas.
Bien à vous tous.