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Commentaire de BA

sur Une épidémie hors de contrôle ?


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BA 27 mars 2021 16:16

Dans les services de réanimation, la question qui va se poser est la suivante : quel patient va-t-on laisser mourir ? Quel patient va-t-on sauver ?


Crise sanitaire : à l’AP-HP, la grande crainte de devoir « trier » les malades.


Face à la dégradation de la situation, les Hôpitaux de Paris envisagent selon nos informations de saisir les instances éthiques sur les « critères de triage » des patients.


Jusqu’où les hôpitaux franciliens seront-ils capables d’accueillir des patients ? Et que se passera-t-il si tous les lits finissent par se remplir ? Alors que les indicateurs virent un à un au cramoisi dans la région, la question de devoir, à un moment ou à un autre, faire des choix entre les malades qui pourront, ou non, accéder à la réanimation, est désormais dans toutes les têtes.


Selon nos informations, elle a également été discutée ce mercredi lors d’une réunion de la cellule de crise de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). "Il est temps de dire que nous ne pourrons pas ouvrir des lits à l’infini", a plaidé un des participants, d’après un compte rendu dont l’Express a pu prendre connaissance. "Il faut faire comprendre les choix que nous allons devoir effectuer", a ajouté un autre membre de la cellule. 


La question est éminemment sensible. Le 28 octobre dernier, Emmanuel Macron avait justifié la décision de reconfiner le pays par la nécessité d’éviter aux médecins de se retrouver dans cette situation : "Si nous ne donnons pas aujourd’hui un coup de frein brutal aux contaminations, les médecins devront choisir, ici entre un patient atteint du covid et une personne victime d’un accident de la route, là entre deux malades du covid", avait-il indiqué. Lors de son point presse jeudi 26 mars, après un conseil européen, le Président de la République a à nouveau pris l’engagement auprès des soignants "de ne jamais les mettre face à des choix éthiques qui ne sont pas les nôtres", autrement dit de ne pas les obliger à devoir arbitrer entre des malades. 


Pour l’instant, les déprogrammations massives d’activité permettent de continuer à prendre en charge tous les patients qui se présentent, et ces déprogrammations vont se poursuivre dans les jours à venir. Mais dans les établissements de l’AP-HP, le nombre d’entrées quotidiennes pour covid a atteint cette semaine des niveaux jamais vus. Les patients hospitalisés, dans des services conventionnels ou en réanimation, sont désormais plus nombreux que lors du pic de la deuxième vague d’octobre. Et surtout, l’incidence des infections (le nombre de contaminations pour 100000 habitants) continue d’augmenter fortement dans la région. Les épidémiologistes étant par ailleurs nombreux à s’inquiéter de la faiblesse des mesures de freinage supplémentaires adoptées à ce stade, il faut s’attendre à ce que les malades continuent d’affluer, et que les tensions s’accroissent encore davantage. 


L’hypothèse d’évacuations sanitaires massives vers d’autres régions pour soulager les établissements franciliens, un temps évoquée, ne suffira pas à faire face. Pour l’instant, les médecins ne peuvent que constater le manque d’enthousiasme des familles, dont l’autorisation est nécessaire, et surtout l’instabilité d’un certain nombre de patients, qui rend ces opérations périlleuses. En conséquence, les prochaines semaines s’annoncent particulièrement délicates. "A partir d’un moment, la décision est politique. Si nous ne confinons pas davantage, nous devrons établir des critères de triage", a souligné un des participants lors de cette réunion.


Face à ce constat, les membres de cette cellule de crise envisagent désormais de saisir les instances consultatives en matière d’éthique, à commencer par le comité consultatif national d’éthique, comme nous l’a confirmé par ailleurs une autre source. Une démarche qui aurait quatre objectifs  : "Ne pas faire croire qu’on peut alors que non. Ne pas supporter nous-mêmes ces choix. Harmoniser les critères sur l’ensemble des sites. Susciter des décisions possibles sans affoler", a détaillé un autre participant.


L’objectif serait aussi de donner des outils supplémentaires aux médecins. Sollicitée, l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris a indiqué qu’elle ne souhaitait pas apporter « plus précisions à ce stade » sur ce sujet. Si rien n’est encore officiellement engagé, ces réflexions apportent une nouvelle illustration de la très grande tension dans les établissements de la région. 


Elles reflètent aussi l’inquiétude que les médecins manifestent depuis déjà plusieurs jours, sur le terrain. "Nous allons chercher toutes les solutions, mais cela va être terriblement compliqué, confiait récemment un réanimateur d’un hôpital du nord de Paris. A un moment donné, il va falloir respecter le dernier principe éthique, c’est-à-dire la médecine distributive, la « médecine de guerre », on choisit les patients qui peuvent tirer le plus de bénéfice des soins. Si cela continue, on va en arriver à la même situation que les hôpitaux londoniens en début d’année".


En Seine-Saint-Denis, les services de réanimation sont déjà largement saturés, et nombre de patients sont évacués vers d’autres établissements de la région. "Et après ? On triera, c’est notre job dans des situations de catastrophe", a alerté l’urgentiste Mathias Wargon dans un tweet. 


La priorisation a bien sûr toujours fait partie de l’exercice médical, mais avec la crise sanitaire, la question a changé de dimension. Tout au long de l’année dernière, plusieurs instances ont déjà publié des documents de réflexion et d’accompagnement sur la priorisation des patients en état critique. A l’instar de la société française d’anesthésie-réanimation en partenariat avec le service de santé des armées le 15 avril 2020, par exemple. Et aussi du comité consultatif national d’éthique le 16 novembre dernier en réponse à une saisine du ministère de la santé.


"Les choix doivent être argumentés, couchés par écrit, et pris de façon collégiale", rappelle à l’Express un de ses co-auteurs, le Dr Régis Aubry. Qui insiste sur un corollaire, le devoir de « non-abandon » : "A partir du moment où se pose la question de la réanimation, et que cette option n’est pas retenue, cela veut dire que la personne a un grand risque de décéder, même si ce n’est pas toujours le cas. Il y a alors un devoir d’accompagnement, de traitements palliatifs", souligne cet expert. 


Sans oublier aussi que les déprogrammations sont déjà une forme de « tri », et qu’elles ne sont pas non plus sans conséquences : l’an dernier, une étude parue dans le British medical journal avait montré qu’un mois de retard dans le traitement d’un cancer pouvait entraîner 6% à 13% de risque de mortalité en plus.


https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/crise-sanitaire-a-l-aph-hp-la-grande-crainte-de-devoir-trier-les-malades_2147653.html


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