@eau-du-robinet
La nouvelle sagesse du web ou « l’esclavage 2.0 » ?
Par Hubert Guillaud
« Le travail culturel et technique est une activité très répandue dans toutes les sociétés capitalistes avancées. Un tel travail n’est pas réservé aux « travailleurs intellectuels », mais constitue une caractéristique majeure de l’économie post-industrielle. La prédominance d’une telle production remet en cause la légitimité d’une distinction fixe entre production et consommation, travail et culture. Elle mine également la distinction de Gilroy entre le travail en tant que « servitude, misère et subordination » et l’expression artistique comme moyen pour l’individu de se façonner lui-même et de se libérer de ses attaches. Cependant, le territoire de plus en plus brouillé entre production et consommation, travail et expression culturelle, ne signale pas la recomposition de l’ouvrier marxiste aliéné. L’internet ne transforme pas automatiquement chaque utilisateur en producteur actif, et chaque ouvrier en un sujet créateur. Le processus par lequel la production et la consommation se reconfigurent au travers du travail gratuit signale le déploiement d’une logique différente (plutôt que complètement nouvelle) de la valeur.
[…]
Au sein des premières communautés virtuelles, nous dit-on, le travail était vraiment « libre » [jeu de mot classique sur le mot anglais free, qui signifie à la fois « libre » et « gratuit », Ndlr] : le travail de constitution d’une communauté ne produisait pas d’importantes recettes financières (il était donc « libre », gratuit, non rémunéré), mais il était consenti de manière volontaire en échange des plaisirs de la communication et de l’échange (il était donc « libre, » agréable, non imposé). En réponse aux demandes des membres, l’information était rapidement publiée et partagée avec une absence de médiation que les premiers « netizens » n’ont pas manqué d’apprécier. […] Malgré la nature volatile de l’économie de l’internet, la notion du travail des utilisateurs maintient une centralité idéologique et matérielle qui traverse les modes. Des commentateurs aussi opposés que Howard Rheingold et Richard Hudson, s’entendent sur une chose : la meilleure manière de rester visible et prospère sur le web, est de transformer votre site en espace qui est non seulement accessible, mais surtout, d’une façon ou d’une autre, coconstruit par ses utilisateurs.
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Les utilisateurs font vivre les sites par leur travail, par le temps passé à accéder au site (qui génère de la publicité), à écrire des messages, à participer à des conversation, jusqu’à devenir de véritables collaborateurs. […] Le mouvement open source, qui se fonde sur le travail libre des internautes, constitue un autre signe de cette tendance structurelle de l’économie numérique [Ndlr : à développer le travail gratuit]. »
https://www.internetactu.net/2006/05/11/la-nouvelle-sagesse-du-web-ou-lesclavage-20/