Sarah,
Vous me faites aimablement remarquer : "Manifestement vous ne savez pas ce qu’est un capital et une action ; il faudrait peut-être commencer par là ?
Comme l’a écrit un intervenant plus haut, cela rapporte souvent moins que la Caisse d’Épargne et en plus l’actionnaire peut TOUT PERDRE contrairement au Livret A."
Et vous reprenez élégamment, plus loin : « « Soyez gentil, s’il vous plait : allez prendre d’économie à l’université ou à l’INSEE, (c’est pas ici) et en attendant abstenez-vous d’écrire des bêtises. »
C’est ce que je me préparais à écrire, mais vous m’avez devancée. Quelques cours d’économie/compta géné/analyse financière/création d’entreprise lui ferait le plus grand bien. »
Mais Sarah, il ne suffit pas de me conseiller d’aller suivre quelques cours (ce qui ne fait jamais de mal, vous avez bien raison, j’adore apprendre, même en milieu hostile) : en décrivant en deux mots le monde difficile de l’actionnaire (qui prend des risques considérables, d’accord, j’ai versé une petite larme , vous ne faites nullement la démonstration de l’utilité de ces actionnaires pour le reste de la société.
Êtes-vous capable de tenter un bilan, pour l’économie du pays, du financement des entreprises par actions en vous plaçant à l’extérieur de la peau de l’actionnaire ? Je suis sûr que vous êtes capable d’avoir un raisonnement qui ne soit pas totalement individualiste ;o)
Vous savez que la bourse tourne désormais en vase clos et qu’elle n’est plus apporteuse nette de capitaux pour l’économie du pays (ce qui est pourtant son rôle, officiellement) : elle en vient même à détruire du capital (les sociétés en viennent en effet à racheter leurs propres actions, ce qui est évidemment décrit comme une aberration par les vrais entrepreneurs).
Pour donner un peu de crédibilité à mon propos, je vais vous retranscrire ici un petit fragment des lectures qui alimentent ma réflexion, et vous allez voir que ce n’est pas de la littérature marxiste puisqu’il s’agit du dernier livre de Jean-Luc Gréau, expert du MEDEF, « L’avenir du capitalisme » (Gallimard, 2005).
Ce court extrait à vocation pédagogique vient des pages 171 et suivantes, au cœur du chapitre intitulé « À quoi servent encore les bourses ? » (il n’y a donc pas que les dangereux gauchistes qui se posent la question, dirait-on ;o) :
« Comment les entreprises cotées se surendettent
Les marchés financiers contemporains présentent une anomalie décisive pour l’enchaînement des faillites de la fin du siècle. Il s’agit de l’inversion de la relation classique entre la bourse et la dette des sociétés cotées.
La bourse classique examinait d’un regard circonspect la politique d’emprunt des sociétés cotées. Elle partait du postulat que les dettes nouvelles contractées par ces sociétés, alourdissant leur passif et leurs frais financiers, comportaient un risque de dégradation de leur bilan et de leur profitabilité immédiate. (...)
Or la toute dernière période d’essor des bourses occidentales a donné lieu à un phénomène inverse de surendettement des entreprises parmi les mieux cotées. (...) Laissons de côté l’imprudence manifestée par des managers que les médias financiers couvraient de louanges.
Le point à retenir est que le la de la politique d’emprunt de l’entreprise était donné par le marché des actions. Plus le cours de l’action montait et plus l’entreprise était en mesure de s’endetter. (...)
Dit autrement, c’est la bourse qui a opéré comme une agence de notation anonyme, se substituant à leur corps défendant aux organismes spécialisés. Cette anomalie donne l’explication la plus plausible de l’endettement effréné qui a miné la solidité financière des sociétés cotées au point de mener certaines d’entre elles à des faillites entièrement imprévues.
L’épisode nous dispense trois leçons de caractère général.
- Première leçon : c’est la déraison des marchés d’actions et non la politique éventuellement laxiste des banques centrales qui est la source du surendettement des sociétés cotées. (...)
- Deuxième leçon : l’expérience récente vient contredire la justification première du programme de développement des bourses mené dans les pays industriels. [souligné par moi, ÉC]
Toute la littérature favorable à ce programme s’est focalisée sur les avantages d’un financement par fonds propres, autrement dit par émission d’actions en bourse, non remboursables aux souscripteurs, en lieu et place du financement par l’emprunt, afin de réduire la dette des sociétés cotées.
Or, non seulement les bourses ont cessé de transformer l’épargne collectée en capitaux propres supplémentaires, mais elles ont adressé aux prêteurs des signaux erronés sur l’état de santé véritable des entreprises qui empruntaient auprès d’eux. Les prêts consentis ont ainsi largement dépassé le montant de ceux qui auraient été accordés à des entreprises comparables non soumises à la cotation boursière.
- Troisième leçon : les gémissements des actionnaires pris à revers par les faillites ne sauraient nous faire oublier leur responsabilité directe dans la préparation de la crise. Car qui fait la bourse, sinon les actionnaires ?
En refusant de sanctionner la volonté de puissance des managers et, pour tout dire, en lui pavant la voie, les actionnaires ont joué un rôle de premier plan dans la préparation psychologique et matérielle des stratégies génératrices de faillites.
Le procès des managers imprudents ou désinvoltes implique le procès parallèle des actionnaires qui les ont encouragés sur le chemin aventureux de la croissance externe et du surendettement.
Ce n’est encore là qu’un premier chef de responsabilité. L’influence des actionnaires boursiers s’est exercée d’une manière tout aussi néfaste dans le sens de la décapitalisation des entreprises.
Comment les entreprises cotées se décapitalisent
Tandis que certaines sociétés, situées sur des marchés en expansion théoriquement rapide, étaient poussées à s’endetter pour racheter leurs concurrentes, d’autres entreprises, situées sur des marchés plus mûrs, étaient contraintes de racheter leurs propres actions, pour stimuler artificiellement leurs cours de bourses.
En effet, l’opération de rachat provoque une raréfaction des titres à la cotation qui dope mécaniquement leur valeur.
Mais alors, que reste-t-il du postulat de financement des entreprises en bourse ?
Venues sur le marché pour accroître leur capital, les sociétés cotées se voient maintenant demander par ce marché de le réduire. Mesurons en quelques mots toute la portée intellectuelle et matérielle de la nouvelle situation.
Les actions émises en leur temps pour concourir au financement sans dettes des entreprises font désormais l’objet de rachats qui équivalent à un remboursement du capital émis à l’origine, comme s’il s’était agi de titres d’emprunt remboursables aux prêteurs.
Fait aggravant, ces rachats s’effectuant à des prix incomparablement supérieurs aux prix de leur émission, ils entraînent pour les sociétés qui s’y résignent un effort financier sans commune mesure avec celui que représente le remboursement du capital des emprunts.
Quelque vingt années après le début des transformations financières qui ont donné le pouvoir à la bourse, le postulat du financement des entreprises par fonds propres s’effondre pour laisser apparaître la réalité déconcertante d’une spoliation ouverte des grands agents de la production par les fonds de placement les plus influents sur le marché des actions.
Ces rachats d’actions détruisent aussi le fondement logique de la distribution des dividendes par les sociétés. Le droit de percevoir des dividendes provient du fait qu’en souscrivant les actions émises, les acheteurs initiaux ont subventionné l’entreprise en renonçant à toute forme de remboursement du capital. Les droits financiers des actionnaires sont indissociables de leur renonciation explicite au capital souscrit.
Or, si l’entreprise accepte de racheter les actions dans les mains de ses actionnaires, non seulement ce fondement est détruit, mais, en raison du prix consenti pour le rachat, c’est au contraire elle qui les subventionne à son tour. »
Etc. (la charge est lourde)
Je rappelle que ce n’est pas Marie-George qui parle, ni Arlette, (il sera donc difficile de discréditer commodément le discours entier en débinant son auteur, manœuvre malhonnête mais fréquente, faute d’argument) : il s’agit bien d’un expert du MEDEF
Et j’ajouterai que tous ces gaspillages et pertes sèches se font bien sûr toujours sur le dos de ceux qui, de fait, créent la vraie richesse nouvelle, ceux qui bossent, bien sûr, et qui, eux, n’ont absolument pas voix au chapitre, idiots qu’ils sont... Alors que ceux qui décident, eux, sont bien avisés, on le voit...
Non, décidément, vous ne m’avez pas encore convaincu, Sarah : il est temps que l’on débatte avant de décider, dans l’entreprise comme ailleurs : la démocratie, en mettant en scène les conflits, en imposant le temps et le lieu du débat, éclaire les choix d’une lumière vive qui permet d’éviter les plus graves erreurs ou les mensonges partisans.
Et ce que des politiques ont fait sciemment (je pense à ce volontaire programme de développement des bourses mené dans les pays industriels), d’autres politiques peuvent évidemment le défaire.
C’est probablement aux citoyens exploités de comprendre par qui ils le sont et de faire ce qu’il faut pour que ça change.
Je sens que le mot « exploités » va encore faire sortir des poches la formule d’exorcisme « marxiste ! », injure suprême utilisée par les membres de la secte du marché solaire contre ses détracteurs, quels que soit les arguments avancés, d’ailleurs ;o)
Pour l’instant, comme à l’époque d’Étienne de la Boétie, notre indifférence au sort d’autrui rend possible notre servitude volontaire.
Amicalement.
Étienne.
(Je répondrai au délicieux « gem » demain
25/11 13:39 - Thinkgreen
24/09 11:53 - Étienne Chouard
Bonjour (et pardon d’avoir perdu le contact si longtemps), Tout ça est un peu loin (...)
21/08 21:33 - JeanG
Bonjour Étienne, Tu sollicites des avis,... je n’ai que des questions a te poser. Elle (...)
02/12 18:12 - emil
J’ai l’impression d’être arrivé sur un champ de bataille, une fois le lieu (...)
26/07 13:57 - Laurent
Si l’économie n’était que du bons sens, on ne verrait pas de supermarché remplis de (...)
26/07 13:50 - Laurent
L’idée selon laquelle la dette d’un état est de même nature que celle d’une (...)
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