Ecrivant au début des années 80, V. S. Naipaul a montré à quel point la croyance en la venue du messie chiite est profondément enracinée dans la population iranienne. Dans son livre, Among the Believers : An Islamic Journey [Au milieu des croyants : un voyage islamique], il racontait avoir vu, dans la Téhéran d’après la Révolution, des posters aux motifs similaires à ceux de la Chine maoïste : par exemple, des foules avec des fusils et des mitraillettes, brandis comme en guise d’accueil. Les posters arboraient toujours la même phrase : DOUZIEME IMAM, NOUS T’ATTENDONS. Naipaul écrit qu’il pouvait comprendre intellectuellement la vénération envers Khomeiny. « Mais il était plus difficile de comprendre l’idée de la révolution comme quelque chose de plus, comme une offrande au Douzième Imam, l’homme qui avait disparu [...] et restait « occulté ». Selon la tradition chiite, un pouvoir islamique légitime ne peut s’établir qu’après la réapparition du Douzième Imam. D’ici là, les chiites n’ont qu’à attendre, à supporter en paix un pouvoir illégitime, et à se remémorer, avec tristesse, Hussein, le petit-fils du Prophète. Mais Khomeiny n’avait pas l’intention d’attendre. Il revêtit le mythe d’un sens entièrement nouveau : le Douzième Imam ne surgirait que quand les croyants auraient vaincu le mal. Pour hâter le retour du Mahdi, les musulmans devaient secouer leur torpeur et combattre. Cet activisme a davantage de choses en commun avec l’idée révolutionnaire des Frères Musulmans d’Egypte, qu’avec le chiisme. Khomeiny s’était familiarisé avec les textes des Frères Musulmans depuis les années trente, à savoir : que les réalisations de la modernité ont remplacé la providence divine par le libre arbitre individuel, la foi aveugle par le doute, et la morale austère de la charia par les plaisirs des sens. Selon la légende, Yazid était l’incarnation de tout ce qui est interdit. Il buvait du vin, prenait plaisir à écouter de la musique et des chansons, et jouait avec des chiens et des singes. Et n’était-ce pas précisément le cas de Saddam ? Dans la guerre contre l’Iraq, le « mal » était clairement défini, et vaincre le mal était la condition préalable pour hâter le retour du Douzième Imam bien-aimé. Lorsqu’il se donna à voir durant quelques minutes, caracolant sur sa monture, la volonté de mourir en martyr s’accrut considérablement.
C’est cette culture qui a nourri la conception du monde de Mahmoud Ahmadinejad. Né hors de Téhéran, en 1956, fils d’un forgeron, il acquit une formation d’ingénieur civil, et durant la Guerre Iran-Iraq, il s’agrégea aux Gardiens de la Révolution. Sa biographie demeure étrangement elliptique. A-t-il joué un rôle dans la prise de contrôle de l’Ambassade des Etats-Unis, en 1979 ? Qu’a-t-il fait, au juste, durant la guerre ? Nous n’avons aucune réponse claire à ces questions. Son site présidentiel dit simplement qu’il a été « en service actif en tant que volontaire Basiji jusqu’à la fin de la sainte défense [la guerre contre l’Iraq], et qu’il a servi comme Ingénieur de combat dans différentes sphères de responsabilité ».
Nous savons qu’après la fin de la guerre, il a été gouverneur de la Province d’Ardebil, et organisateur de Ansar-e Hezbollah, un groupe radical de vigilance composé d’islamistes fondamentalistes, connu sous le nom de Abadgaran-e Iran-e Islami, ou Promoteurs d’un Iran islamique. C’est dans ce rôle qu’il se tailla la réputation - et la popularité - d’un dirigeant rigide attelé à défaire les réformes libérales du président d’alors, Muhammad Khatami. Ahmadinejad se positionna en dirigeant d’une « seconde révolution » en vue d’éradiquer de la société iranienne la corruption et les influences occidentales. Les Basiji, dont le nombre s’était extrêmement accru depuis la fin de la Guerre Iran-Iraq, l’adoptèrent. Recrutés dans les couches les plus pauvres et les plus conservatrices de la population, les Basiji sont sous la direction du Guide Suprême et successeur de Khomeiny, Ali Khameiny, auquel ils ont juré une loyauté absolue. Durant la course à la présidence d’Ahmadinejad, en 2005, les millions de Basiji de toutes les villes, faubourgs et mosquées d’Iran, devinrent les artisans non officiels de sa campagne.
Depuis que Ahmadinejad est devenu président, l’influence des Basiji a grandi. En novembre, le nouveau président inaugurait la « semaine Basiji » annuelle, qui commémore les martyrs de la Guerre Iran-Iraq. Selon un rapport publié par Kayan, une publication fidèle à Khameiny, quelque neuf millions de Basiji - soit 12% de la population iranienne - se sont rassemblés pour une manifestation en faveur de la plateforme antilibérale de Ahmadinejad. L’article affirmait que « les manifestants form[aie]nt une chaîne humaine de quelque 8.700 km de long [...] Rien qu’à Téhéran, 1.250.000 personnes se sont rassemblées ».
Fin juillet 2005, le mouvement Basiji annonçait qu’il projetait d’accroître le nombre de ses membres, qui passerait de 10 à 15 millions vers 2010. On estime que les unités d’élite spéciales comptent pour l’instant quelque 150.000 membres. Les Basiji ont donc reçu de nouveaux pouvoirs dans leur fonction en tant que département non officiel de la police. Ce que cela implique en pratique est devenu clair en février 2006, quand les Basiji ont attaqué le chef du syndicat des conducteurs d’autobus, Massoud Osanlou. Ils l’ont retenu prisonnier dans son appartement et lui ont coupé l’extrémité de la langue pour le convaincre de se taire. Aucun Basiji ne doit craindre d’être poursuivi en justice pour de telles méthodes terroristes.
Du fait que l’idéologie et l’influence des Basiji bénéficient d’un renouveau sous la présidence d’Ahmadinejad, la foi du mouvement dans les vertus de l’immolation violente de soi-même reste intacte. Il n’y a pas, en Iran, de « commission de vérité » pour enquêter sur le suicide collectif planifié par l’Etat, qui eut lieu de 1980 à 1988. Par contre, on enseigne à tous les Iraniens, depuis l’enfance, les vertus du martyre. A l’évidence, beaucoup d’entre eux rejettent les enseignements Basiji. Néanmoins, chacun connaît le nom de Hossein Fahmideh, un enfant de 13 ans, qui, durant la guerre, se fit exploser devant un char iraqien. Son image suit les Iraniens tout au long de la journée, que ce soit sur des timbres postaux ou sur l’argent. Si vous exposez un billet de 500 rials à la lumière, c’est le visage de cet enfant que vous verrez en filigrane. L’immolation volontaire de Fahmideh est présentée, dans la presse iranienne, comme un modèle de foi profonde. Il a été le thème à la fois d’un film d’animation et d’un épisode d’une série télévisée, « Les enfants du Paradis ». Pour symboliser leur volonté de mourir pour la Révolution, les groupes Basiji portent un linceul blanc par-dessus leur uniforme dans les manifestations publiques.
Au cours de la Fête de la Ashura de cette année, on a emmené les écoliers en excursion dans un « Cimetière de Martyrs ». Le New York Times relatait : « Ils portent autour de la tête des bandeaux sur lesquels est dessiné le nom de Hussein, et marchent sous des bannières où l’on peut lire : « Se souvenir des Martyrs, aujourd’hui, est aussi important que de devenir un Martyr », et « La nation qui considère le Martyre comme un bonheur sera toujours Victorieuse » ». Depuis 2004, la mobilisation des Iraniens dans des brigades-suicide s’est intensifiée, et elle inclut un entraînement des recrues pour des missions à l’étranger. C’est ainsi qu’a été créée une unité spéciale qui porte le nom de « Commando des Martyrs Volontaires. « Selon ses statistiques, cette force a recruté jusqu’ici quelque 52.000 Iraniens pour la cause du suicide. Son objectif est de former une »unité du martyre" dans chaque province iranienne.
Le culte Basiji de l’autodestruction serait terrifiant dans n’importe quel pays. Mais dans le contexte du programme nucléaire iranien, son obsession du martyre équivaut à un détonateur allumé. Actuellement, les Basiji ne sont pas envoyés dans le désert, mais plutôt dans les laboratoires. Les étudiants Basiji sont encouragés à s’inscrire dans des disciplines techniques et scientifiques. Selon un porte-parole des Gardiens de la Révolution, l’objectif est d’utiliser le « facteur technique » pour accroître la « sécurité nationale ».
Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Prenons en compte le fait que, en décembre 2001, l’ancien président iranien, Hashemi Rafsanjani, expliquait que « l’utilisation ne serait-ce que d’une seule bombe contre Israël y détruirait tout ». Par contre, si Israël répliquait avec ses propres armes nucléaires, cela « ne causerait des dégâts qu’au monde islamique. Il n’est donc pas déraisonnable d’envisager une telle éventualité. » Rafsanjani énonçait ainsi une macabre analyse de pertes et profits. Il pourrait être impossible de détruire Israël sans subir des représailles. Mais, le niveau des dommages qu’Israël pourrait infliger à l’islam est supportable - il ne ferait qu’ajouter environ 100.000 martyrs de plus pour l’Islam.
Pourtant, Rafsanjani fait partie de l’aile modérée de la Révolution iranienne ; il croit que tout conflit doit avoir un résultat « qui en vaille la peine ». Au contraire, Ahmadinejad est prédisposé aux perspectives apocalyptiques. Dans l’une de ses premières interviews, après son élection à la présidence, il déclarait avec enthousiasme : « Y a-t-il un art plus magnifique, plus divin, plus éternel que celui de la mort d’un martyr ? » En septembre 2005, il concluait son premier discours à la tribune des Nations Unies en implorant Dieu d’opérer le retour du Douzième Imam. Il finance un institut de recherche à Téhéran, dont le seul but est d’étudier et, si possible, de hâter la venue de l’imam. Il y revenait avec insistance lors d’une conférence de théologie, en novembre 2005 : « La tâche la plus importante de notre Révolution, est de préparer la voie au retour du Douzième Imam ».
Une politique menée en alliance avec une force surnaturelle est nécessairement imprévisible. Pourquoi un président iranien s’engagerait-il dans une politique pragmatique quand son postulat est que, dans trois ou quatre ans, le sauveur apparaîtra ? Si le Messie est sur le point de venir, pourquoi faire des compromis ? C’est pourquoi, jusqu’à maintenant, Ahmadinedjad a mené des politiques de confrontation avec un plaisir évident.
L’histoire des Basiji montre que nous devons nous attendre à des monstruosités de la part du régime iranien. Déjà, ce qui a commencé dans les années 80 par le nettoyage des champs de mines à l’aide de détonateurs humains, s’est répandu dans tout le Moyen-Orient, comme l’illustrent les attentats-suicide à l’explosif qui sont devenus la stratégie préférée des terroristes. Les spectacles motivants dans le désert, avec des acteurs engagés pour jouer le rôle de l’imam caché, ont pris la forme d’une confrontation ouverte entre un président iranien fanatique et le monde occidental. Et le Basiji qui autrefois errait dans le désert, armé seulement d’un simple bâton de marche travaille aujourd’hui comme chimiste dans une usine d’enrichissement d’uranium.
Matthias Kuntzel, spécialiste en sciences politiques à Hambourg, en Allemagne. Il est l’auteur de Djihad und Judenhass (Djihad et haine des Juifs).
Texte traduit par Macina pour UPJF.org
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