@Pauline pas Bismutée
Content de vous voir sur ce fil
Je suis maintenant en retraite, mais je continue à penser à tous ces patients que j’ai croisés, et avec lesquels j’ai tissé parfois au cours des années, une relation très forte, avec bien sûr la distance professionnelle indispensable, sans lequel le soin n’existerait pas. Certains que j’ai vu très jeune, avant de disparaitre, continuent à me hanter. Comme vous, des souvenirs difficiles sont présents, avec cette détermination froide que rien ne semble chez certains jeunes gens, ne rien arrêter. Il n’y a que des cas singuliers, et cette étrange alchimie qui existe pourtant entre certains soignants et patients, chez lesquels on sait instinctivement qu’on peut établir une liaison, ou non, une sorte de reconnaissance de language inconscient électif.
Je me suis souvent servi des livres, de la lecture. Mon casier était plein de livres que je distribuais, et qui me permettait d’aborder la souffrance par les marges. Je me souviens d’un jeune homme de vingt ans, « enfant du placard », que certains jugeait psychopathe, à la vue de ses comportements et de sa violence, qui obligeait à des séjours de rétention dans sa chambre, mais dont l’exercice sur lui même dans des raptus impressionnants ciblait le tableau bordeline. J’ai commencé à lui lire « les grandes espérances » de Dickens, en lui donnant son repas. Lui qui lisait à peine, et n’avait jamais lu de roman, m’a demandé le livre, dés le chapitre deux. Puis le tome 2... Il lisait lentement, avec le doigt, puis de plus en plus rapidement. Dickens a connu une enfance difficile lui aussi. Ses livres sont terriblement résilients, et distillent, comme d’autres chefs d’œuvre, cette part d’authenticité qui ne s’invente pas autrement que par ceux qui l’ont vécu, et s’en sont sortis résilients.
Le choix de Dickens n’était pas gratuit. A dix ans, en colonie de vacances. Un mono nous lisait chaque soir « Un conte de Noêl » de Dickens, lumière éteinte, avant de s’endormir. Comme beaucoup bordélisaient, il avait arrêté son récit. J’ai bravé ma timidité, pour lui demander le livre, dont je voulais absolument savoir la suite. Ce qui à ma grande surprise alors, l’a ravi....Un livre réellement extraordinaire, d’ailleurs, car basé sur la générosité qui s’oppose au cynisme et au calcul de Scrooge, homme qui se condamne ainsi, malgré son argent, sa puissance. Ou plutôt à cause de cela même.« Le conte de noël », écrit avant les découvertes de Freud, nous invite aussi à un voyage dans l’inconscient, l’exploration du mal et du bien, au travers trois voyages faites sur les ailes d’un ange, dans le passé, le présent, et le futur. Trois temps pour envisager d’où nous venons, et établir notre part de responsabilité sur les autres, et la trace que nous laissons.
« L’enfer c’est les autres » disait Sartre, Primo Levi ne dit pas autre chose. « Quoique je fasse, ou pense, je me construit en fonction de l’image que les autres ont de moi. ». D’où l’essentialité de renvoyer une image de confiance et de positivé, même à celui qui se fait menaçant. Nous nous jugeons suivant le regard de l’autre.
Des livres meurent, ou n’ont jamais vécu autrement que comme des constructions factices, bien qu’élégantes. D’autres vivent au delà siècles. Je pense que l’art à sauvé plus d’une personne. Une fois sorti, ce patient est revenu un jour au pavillon, et m’a montré avec fierté sa carte d’abonné à la bibliothèque. Des actions minuscules mais qui aident à nous tenir debout, à nous sentir mieux. Je viens de finir deux bouquins de Primo Levi que je n’avais lu, et qui m’ont bouleversé, au diapason de ces temps difficiles.
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12/03 17:08 - Pauline pas Bismutée
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11/03 21:52 - troletbuse
Une personne vraiment décidée fera des tentatives jusqu’à la réussite. Il n’y a (...)
11/03 16:27 - Pauline pas Bismutée
A Velosolex Oui, bien d’accord, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai (...)
11/03 12:49 - velosolex
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