Chitah,
Je manque de temps, je vais prendre votre message par fragments, si vous voulez bien.
Vous dites : « La morale n’a rien à voir là dedans, il n’y a pas de gâteau à se partager : il n’y a que des contrats à conclure, et c’est tout. »
On peut appeler les fruits du travail autrement que « gâteau » si vous voulez, mais il y a bien une répartition à effectuer des résultats du travail des hommes, quand même, non ? Et il n’est pas indifférent de savoir qui tient le couteau (comme dit l’excellent Bernard Maris).
Vous écartez toute considération morale (pourtant, on parle bien de morale sur le forum que vous m’avez indiqué), en vous référant aux seuls contrats. Mais le droit qui sous-tend les contrats qui vous semblent si fondateurs n’est-il pas tout imprégné de considérations morales (d’une morale bien particulière, en tout cas) ?
Je suis sûr que vous pouvez comprendre la malhonnêteté qu’il y a à mettre à égalité juridique deux cocontractants fondamentalement inégaux sur le plan économique (employeur et employé) : chacun peut ressentir que l’un a besoin d’une protection supplémentaire pour ne pas être transformé rapidement en esclave (en signant le contrat qu’il ne peut ni refuser ni négocier), et le droit du travail sert précisément à cela.
C’est ce droit du travail qui pourrait prévoir, (conformément à un principe constitutionnel supérieur que je cherche à formuler et qui donnerait au seul fait de travailler un mérite équivalent au fait d’être propriétaire), une participation des travailleurs aux côtés des propriétaires dans les assemblées qui confirment ou condamnent la gestion de l’entreprise par le staff.
Je peux illustrer ce besoin d’inégalité réfléchie par une parabole : si vous avez plusieurs enfants, Chitah, et que l’un est handicapé, je suis sûr que vous allez vous en occuper plus que les autres, n’est-ce pas ? Vous n’allez pas laisser exploiter, racketter, maltraiter, affamer votre enfant le plus faible par ses frères plus forts sans rien faire, quand même ? (je parle bien de vous avec vos propres enfants). Vous n’allez pas sacrifier votre enfant faible, même devenu adulte, sur l’autel de la sélection naturelle et de la compétitivité, n’est-ce pas ?
Si vous l’admettez pour vos propres enfants, pourquoi ne pas l’admettre dans un groupe plus important ? Qu’est-ce qui vous bloque au niveau de l’entreprise, du pays ou du monde pour transposer ce qui vous semble si fondamental, si évident, si indiscutable au niveau de la cellule familiale ?
La logique du contrat ne suffit pas à organiser une société pacifiée, il me semble.
**** Ensuite, vous dites »Jetez un oeil sur ce lien, concernant cette idée du renard libre dans le poulailler : (regardez le quatrième point de la liste) »
Je ne trouve là rien de convaincant contre ma thèse, au contraire : l’article cité a bien raison de se méfier de l’État comme d’un renard à ne surtout pas laisser libre contre les individus « libres » de se faire écraser par un autre « libre » beaucoup plus fort... Nous sommes donc d’accord, mais je ne me sens pas contredit. La liberté d’être oppressé n’est pas la liberté, pourrait-on dire
L’idée selon laquelle confronter sans correctif protecteur un renard et une poule revient à condamner la poule à mort est simplement irréfutable et la politique néolibérale qui revendique cette confrontation libre et non faussée entre les humains comme si les uns n’étaient bons qu’à se faire dévorer par les autres paraît simplement immorale, cynique, et pour tout dire inhumaine. C’est animal, incontestablement, c’est un ordre naturel : mais précisément pas humain.
C’est pourquoi j’analyse, avec bien d’autres, la montée du néolibéralisme comme un recul de la civilisation, par abandon progressif de toutes les solidarités.
Un recul de la civilisation rendu possible par l’incroyable servitude volontaire du plus grand nombre, laquelle servitude volontaire est basée, comme l’avait fort bien observé Étienne de la Boétie, sur l’indifférence au sort d’autrui.
Ce rouage-là est absolument essentiel.
Alors, je ne sais pas qui vous êtes, Chitah : si vous êtes de ceux qui gagnent beaucoup au respect de ce dogme du marché libre, alors vous n’admettrez probablement jamais l’inavouable ni l’injustifiable, on comprends pourquoi. Mais si vous êtes un homme normal, salarié pour simplement survivre par exemple, j’aimerais savoir ce que vous pensez de ce texte immense de La Boétie (30 pages qui ont probablement changé profondément le cours de l’histoire).
Vous dites « tout prélèvement est une spoliation » ... Alors, plus d’impôts, plus d’école, plus d’hôpitaux, plus d’entraide ?...
Vous dites aussi : « Comment se fait-il, que dans un pays dont 55% de la richesse produite par an est détournée par l’État, on trouver encore des clodos dans les rues, des bidonvilles, etc. La faute au libéralisme ? Mon oeil, oui. »
Il me semble, chitah, que le nombre de « clodos » augmente au fur et à mesure que les politiques néolibérales s’appliquent, effectivement.
Êtes-vous donc totalement hermétique aux bienfaits de la solidarité ?
Vous dites : « Je ne déteste pas l’État, je rejette sa légitimité. Je rejette ce qu’il m’oblige à faire. » Quelle différence avec l’anarchie ?
Je découvre certaines thèses des anarchistes à l’occasion de ce qui m’arrive depuis un an et je lis des livres comme « Âge de pierre, âge d’abondance » de Marshall Sahlins ou « La société contre l’État » de Pierre Clastres, et c’est vrai que la description de sociétés réelles à la fois heureuses et sans aucun pouvoir (donc sans État, bien sûr) est tout à fait vivifiante pour la pensée, ce sont des livres considérables. Ceci dit, ces sociétés semblent difficilement transposables aujourd’hui, à moins d’être vraiment très optimiste, non ?
Votre rejet de l’État me paraît plus dangereux que rassurant.
Naturellement, je reste complètement ouvert à toute argumentation supplémentaire
Je reste donc (pour l’instant) sur cette impression forte que les néolibéraux sont ce qu’ils sont parce qu’ils sont forts et qu’ils en profitent, simplement, égoïstement, mais on est très loin de l’intérêt général, je trouve, et ce devrait être à l’État de ne pas céder à leurs pressions partisanes.
Et je prétends que les abandons de l’État cédant aux pressions des plus forts correspondent aux trahisons de nos hommes politiques qui se sont mis à l’abri de la rotation des fonctions et du contrôle des citoyens en écrivant eux-mêmes les règles de leur propre pouvoir (les Constitutions).
En bonne logique, les libéraux devraient me suivre sur ce point.
Encore une fois, je ne veux pas remplacer la dictature des propriétaires par une dictature des prolétaires : j’aimerais instituer un régime sans dictature du tout, où le débat et la participation honnêtes précèdent toute décision à portée collective
Amicalement.
Étienne.
25/11 13:39 - Thinkgreen
24/09 11:53 - Étienne Chouard
Bonjour (et pardon d’avoir perdu le contact si longtemps), Tout ça est un peu loin (...)
21/08 21:33 - JeanG
Bonjour Étienne, Tu sollicites des avis,... je n’ai que des questions a te poser. Elle (...)
02/12 18:12 - emil
J’ai l’impression d’être arrivé sur un champ de bataille, une fois le lieu (...)
26/07 13:57 - Laurent
Si l’économie n’était que du bons sens, on ne verrait pas de supermarché remplis de (...)
26/07 13:50 - Laurent
L’idée selon laquelle la dette d’un état est de même nature que celle d’une (...)
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