@Géronimo howakhan
Nous commençons tous notre vie par les mêmes infirmités de l’enfance :
nous saluons tous, en entrant au monde, la lumière du jour par nos
pleurs ; et le premier air que nous respirons, nous sert à tous
indifféremment à former des cris. Ces faiblesses de la naissance
attirent sur nous tous généralement une même suite d’infirmités dans
tout le progrès de la vie ; puisque les grands, les petits et les
médiocres vivent également assujettis aux mêmes nécessités naturelles,
exposés aux mêmes périls, livrés en proie aux mêmes maladies. Enfin,
après tout arrive la mort, qui, foulant aux pieds l’arrogance humaine,
et abattant sans ressource toutes ces grandeurs imaginaires, égale pour
jamais toutes les conditions différentes, par lesquelles les ambitieux
croyaient s’être mis au-dessus des autres : de sorte qu’il y a beaucoup
de raison de nous comparer à des eaux courantes, comme fait l’Ecriture
sainte. Car de même que, quelque inégalité qui paraisse dans le cours
des rivières qui arrosent la surface de la terre, elles ont toutes cela
de commun, qu’elles viennent d’une petite origine ; que, dans le progrès
de leur course, elles roulent leurs flots en bas par une chute
continuelle, et qu’elles vont enfin perdre leurs noms avec leurs eaux
dans le sein immense de l’Océan, où l’on ne distingue point le Rhin, ni
le Danube, ni ces autres fleuves renommés, d’avec les rivières les plus
inconnues : ainsi tous les hommes commencent par les mêmes infirmités ;
dans le progrès de leur âge, les années se poussant les unes les autres
comme des flots : leur vie roule et descend sans cesse à la mort par sa
pesanteur naturelle ; et enfin, après avoir fait, ainsi que des fleuves,
un peu plus de bruit les uns que les autres, ils vont tous se confondre
dans ce gouffre infini du néant, où l’on ne trouve plus ni rois, ni
princes, ni capitaines, ni tous ces autres augustes noms qui nous
séparent les uns des autres ; mais la corruption et les vers, la cendre
et la pourriture qui nous égalent. Telle est la loi de la nature, et
l’égalité nécessaire à laquelle elle soumet tous les hommes dans ces
trois états remarquables, la naissance, la durée, la mort. (Oraison
funèbre de Henri de Gornay.)