« La transgression majeure dans la Bible, c’est le miracle. Car il y a là transgression de toute frontière : celle posée par la nature, celle posée par la société, et aussi celle posée par le Dieu imaginé Tout-Puissant et Providence (soit que la maladie ou la mort soient considérées comme produits du péché, soit que l’on se trouve en présence d’un ordre voulu par Dieu), et, dans cette transgression, l’homme, de fait, risque tout : en premier lieu, il risque sa propre foi, ce qu’il a reçu de Dieu. Car enfin, le miracle n’est pas obligé, il n’est pas acte de magie. Il n’est pas le produit d’une force intrinsèque : il est décision de pure grâce de Dieu. Et l’homme qui demande le miracle, qui l’exige de Dieu, risque sur cette demande la totalité de ce qui fait sa vie. Si le miracle n’a pas lieu, c’est la négation de sa liberté et de la grâce qui lui est faite. C’est pourquoi nous n’aimons pas trop aujourd’hui prier pour un miracle. Mais c’est aussi pourquoi l’analyse de Bultmann sur les miracles est inacceptable. C’est le moyen de se débarrasser de la mise au pied du mur et du sérieux de notre situation grâce à un spiritualisme très supérieur ! Pour ce spiritualisme, il n’y a évidemment plus aucune frontière, donc aucune transgression ! Mais par là il n’y a plus aucun sérieux non plus. »
Jacques Ellul, Éthique de la liberté, t. 3.