Caïrn info : 

LE CORPS DÉSARTICULÉ

6Le supplice de Damiens (Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975) et la description du supplice du petit chat dans Le Marin rejeté par la mer (1963) de Mishima introduisent la question de la torture et de la mort par la minutie des descriptifs du démembrement et de l’éviscération des corps.

LES EXTRÉMISTES DU SEXE

7L’expression est empruntée à Christophe Bourseiller (Les forcenés du désir, 2000). On est au-delà du corps puisqu’il s’agit ici du sang, qui en jaillit. Autour de cette néopornographie s’organisent des groupes, avec leurs morbides rituels. Janine Chasseguet-Smirgel recense toutes les variations de ce néofétichisme du sang, depuis ses formes mineures et quasi socialisées : piercing, implants, scarifications, jusqu’au body-art avec ses célèbres artistes suppliciantes (Gina Pane, Orlan) ou jusqu’aux pratiques des butch lesbians et à la dimension extrême des snuff movies (vidéos pornographiques où le sexe est associé à la mort réelle des participants filmée pour le plus grand plaisir d’un public à la perversité absolue).

LA PERTE DE L’ACTIVITÉ SYMBOLIQUE

8Le corps et ses parties ou composantes sont au départ des processus de symbolisation. L’enfant doit trouver des substituts au corps de l’objet (maternel), préservé ainsi de ses attaques. Ces substituts sont des symboles, à la source de toute activité créative. Le déplacement de celle-ci sur des objets successifs les éloigne de leur cible originaire et aide à la constitution de la morale.

9On voit bien dans les religions comment le sacrifice tend à s’écarter de plus en plus du corps humain (selon le schéma : corps de l’animal → offrandes alimentaires non carnées → encens → prière) et comment l’activité symbolique vise à épargner la vie. La désobjectalisation du corps de l’autre qui a trouvé son summum dans la période nazie s’accomplit nécessairement dans le meurtre : racisme absolu, disparition totale de la symbolisation. La destructivité, souvent incluse dans la sexualité, peut arriver à de tels extrêmes, quand toute symbolisation vient à manquer. L’auteure en fait la preuve par maints exemples tirés de récits de l’époque nazie.

10La collusion de l’excitation sexuelle et de l’idée de mort est redétaillée par elle dans l’œuvre de Mishima, ainsi que le cannibalisme présent dans Confession d’un masque, puis l’affleurement de cette composante anthropophage chez Tennessee Williams (Suddenly, last summer) et P. P. Pasolini (Porcile). L’anthropophagie, incorporation réelle, est la forme la plus primitive d’incorporation de l’objet : excluant tout déplacement, elle est, dans sa forme, épouvantablement et absolument concrète. Janine Chasseguet-Smirgel débat alors du fait que, depuis la deuxième théorie des pulsions de Freud (introduction de la pulsion de mort opposée à Éros), on n’a plus, en psychanalyse, évoqué la destructivité qu’en l’absence de liaison de l’agressivité avec la pulsion sexuelle. Selon Freud, on pourrait penser que le « pur instinct de mort » est pur... Pourtant, la criminalité actuelle oblige à reconsidérer la part prise par la sexualité dans la destructivité elle-même. Janine Chasseguet-Smirgel rejoint alors, dans son propos, Paul Denis (Emprise et satisfaction, 1997). Tous deux s’accordent, à propos de l’emprise, à trouver dans l’hybris « un phénomène de co-excitation libidinale qui érotise la pulsion d’emprise pour la transformer en sadisme ». L’hybris est issu des perversions. Il vise à faire advenir l’impossible (c’est-à-dire la mise en acte de toutes les satisfactions prégénitales accessibles à l’enfant). À ce titre, les Cent vingt journées de Sodome constitue le paradigme de l’éloge absolu de l’hybris, selon son apologue, le marquis de Sade.