LA DÉMATERNISATION

33Les féministes, voulant élargir la liberté de la femme, veulent l’empêcher d’être réduite au destin biologique de la maternité. Or, cette maternité est un pouvoir si énorme que ses détracteurs tentent de démontrer que le désir d’enfant n’est pas « naturel ».

34L’inconception (Sylvie Faure-Pragier, 1991) a beaucoup à voir avec les facteurs psychiques internes (relation de la mère avec sa propre mère). Le sentiment maternel – réfuté, à son tour, par Élisabeth Badinter – peut subir, à certaines périodes, des éclipses ; chez les parents de l’Intifada, a fortiori chez ceux des kamikazes, le sentiment narcissique balaye le sentiment parental. Simone de Beauvoir a beaucoup œuvré dans le sens de la « dématernisation » dont elle est une des pionnières ( « la femme prise aux rets de la nature » ).

35La parité, le PACS, le droit des homosexuels à la filiation posent, sous des angles différents, la question de la tentation d’un « universalisme » qui irait progressivement vers la disqualification du rapport sexuel fécondant entre un père et une mère. La législation privilégiant la filiation biologique peut être alors dénoncée comme injuste et inégalitaire à l’égard des hommes. Marcela Iacub dénonce la mythification de la grossesse. L’universalisme tendant à l’interchangeabilité des hommes et des femmes, à la non pertinence de la distinction entre les sexes, fait de la maternité un obstacle radical.

TROUBLES ALIMENTAIRES ET FÉMINITÉ

36Ayant d’abord évoqué des systèmes de pensée philosophiques ou des tendances religieuses proches de l’hérésie, Janine Chasseguet-Smirgel aborde ensuite la théorisation de Béla Grunberger sur l’antagonisme narcissisme/ pulsions (où le narcissisme, du côté de la toute-puissance et de la pureté est antagoniste des pulsions assimilées à la souillure et aux excréments).

37Le désir d’échapper à l’ordre biologique peut, chez l’adolescente, se manifester sous forme de troubles alimentaires. L’anorexique a peur de son corps qu’elle veut dompter et tenir en lisière. Dans la lutte de la fille pour séparer son corps de celui de la mère, les désordres alimentaires sont l’une des expressions majeures de cette lutte. L’auteur illustre ces hypothèses par divers fragments cliniques mêlant auto-érotismes secrets et « jeux » avec les sécrétions ou excrétions du corps. Le déficit narcissique tend à être comblé au niveau du sentiment de solitude, de vide qu’il engendre par des satisfactions auto-érotiques d’origine précoce. Le rapport de l’anorexie au déficit narcissique est le même que celui de la boulimie à la satisfaction anale (le corps-poubelle) ou aussi à la satisfaction autarcique (le tour en boucle qui consiste à se nourrir, vomir et recommencer indéfiniment). Entrer dans l’ordre biologique (adolescence et au pôle opposé, ménopause), c’est accepter de se soumettre à l’emprise de la mère. Les désordres alimentaires sont alors à comprendre comme « désir d’échapper à l’emprise de la mère qui l’a, pour toujours, enfermée dans son corps propre ».

« ANIMAL, MON FRÈRE »

38De Buffon à Freud ( « Inhibition, symptôme et angoisse » ), nombreux sont ceux qui se sont accordés sur le facteur « temps » et sur la prématurité humaine, particulièrement longue.

Qui a commencé ?

39Janine Chasseguet-Smirgel règle vivement son compte au courant lacanien qui a voulu éradiquer les racines biologiques de la psyché humaine au profit du primat du langage. Le manifeste du Discours de Rome (1959) de Lacan, contre l’idée des stades de l’évolution, constitue, pour notre auteur, l’apogée outrancière de cette critique très contestable. Elle refait alors, pas à pas, le parcours de textes freudiens en montrant, à l’inverse, l’attachement du fondateur de la psychanalyse à une théorie des instincts.

Qui a commencé, qui a continué ?