@ML’utopie de la jouissance 49De la « jouissance » selon Lacan, on pourrait tenter de rapprocher le « sentiment océanique » selon Freud (bébé en fusion avec le sein maternel) et, aussi, « le bonheur produit par la satisfaction d’une pulsion sauvage, non domptée par le moi » ( « orgasme pervers » ). Dans les deux cas, l’Œdipe est absent (non advenu ou contourné). Reich, puis l’anti-Œdipe s’inscrivent dans ces perspectives. Le désir marqué par le manque (selon Lacan) est cependant porteur d’infini. Une sexualité indomptée, marquée par l’hybris, secoue Éros de toutes ses chaînes, la psychanalyse y compris.

L’utopie égalitaire 50Janine Chasseguet-Smirgel se livre ici à une critique du modèle psychanalytique américain, centré sur la thérapie et non sur la théorie, vécue comme un obstacle. Le rejet d’Œdipe va de pair avec une passion égalitaire, issue d’un fantasme de psyché d’où toute organisation est bannie, puisque tous les obstacles sont externes, donc amovibles. Le bonheur serait donc inclus dans la seule action de défaire les structures imposées du dehors ou même inexistantes.

L’Œdipe et la formation de l’appareil psychique 51Quand le principe de réalité entre en jeu, se mettent en place des tentatives d’organisation d’activités et de pensée. L’énergie libre devient de l’énergie liée. On peut alors parler d’appareil psychique.

52Janine Chasseguet-Smirgel revient au parallèle entre le mythe de la Genèse et la constitution de l’appareil psychique : ainsi, création, division, séparation, nomination sont une seule et même chose. « L’acte de nommer les éléments est une autre manière de les sortir du chaos. » L’enfant ne pourrait jamais émerger du chaos sans une démarcation entre lui et sa mère. L’organisation œdipienne a un rôle primordial dans l’activité de pensée. Le démantèlement des structures est un retour à un univers lisse, sans entraves, où le sujet retourne au corps maternel débarrassé de tout contenu paternel (pénis, bébés). On comprend alors la virulence des attaques des tenants de ces nouvelles utopies contre Freud, nouveau décodeur, tel Œdipe, de nombreuses énigmes du monde.

53Dans un Post-scriptum en forme de conclusion, Janine Chasseguet-Smirgel articule le contenu de son livre au plus près de la réalité contemporaine qui est la nôtre. Le désir de retour à l’univers maternel exclusif est sans cesse combattu par d’autres éléments contraires : besoin d’idéalisation du père, devenu un Dieu dans bien des religions ; triomphe du garçon devant le manque de pénis de la mère et envie de celui-ci chez la fille pour se différencier de sa génitrice. Quand la masse est en déréliction (sociale, économique, narcissique), l’attente par elle d’un « héros » est à son paroxysme. Celui-ci n’a rien à voir avec une figure du père idéalisé. Ce serait plutôt la mère du pervers, séductrice et le berçant d’illusions. Ou bien, alors, une figure combinée, bisexuelle.

54L’auteur met en relation Auschwitz et le 11 Septembre, sur le thème du corps éparpillé, aux parties dispersées et indifférenciées, avec l’idéologie et la philosophie dominantes de notre époque post-moderne. Elle revient aux propos de Marcela Iacub, à son dossier des Temps modernes et à ses articles dans le journal Le Monde. Elle rapproche son idéologie des « mères machines » (rappelons-le, robots visant à suppléer les femmes par la menée à terme de grossesses artificielles) du Meilleur des mondes.

55Face aux assauts du déconstructionnisme, Janine Chasseguet-Smirgel appelle de tous ses vœux le retour aux repères – en perte de vitesse accélérée dans les courants de pensée contemporains, notamment d’outre-Atlantique – sans attendre que l’élusine ou la Robe de Saphir.