Ne généralisez-vous pas en dressant un tel portrait de l’éducation contemporaine ? Qui prétend abolir les cadres et les contraintes disciplinaires dans les écoles ou les familles ?
Justement personne, mais c’est toute l’idéologie ambiante, c’est l’hégémonie culturelle – pour reprendre un terme du philosophe Antonio Gramsci – qui prévaut suite à la mutation anthropologique que vous venez d’évoquer. Tout le monde sait bien la difficulté aujourd’hui d’obtenir le calme dans une classe ou que l’enfant se soumette aux règles de la civilité les plus élémentaires comme dire bonjour, au revoir, merci…
En quoi serait-ce dangereux pour l’enfant ?
Parce que c’est oublier que nous sommes des êtres sociaux. Contrairement aux animaux, nous naissons de manière “prématurée” : nous avons besoin d’un long et patient apprentissage au contact des autres pour apprendre à marcher, à parler, à nous exprimer. Encore une fois, nous ne pouvons faire abstraction d’autrui. L’usage de la langue en est un bon exemple. Pour exprimer notre singularité et pour rencontrer celle de l’autre, nous devons respecter les règles et contraintes de la langue. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de progrès à penser une société qui donne davantage de place à l’individu, qui favorise le fait que chacun puisse trouver sa singularité, mais on ne peut jamais oublier que le collectif est toujours bel et bien là, que chacun doit en respecter le fonctionnement, parce qu’il aide l’enfant à se développer.
« On laisse croire aux enfants que tout leur sera possible et, en cela, on les rend très fragiles, inaptes à la vie. »
Vous expliquez pour cela que l’éducation doit respecter le “principe paternel”. Que voulez-vous dire ?
Ce principe est justement celui qui rappelle à l’enfant qu’il y a des conditions, des règles, qu’il ne peut rester dans sa toute-puissance infantile. Ce principe paternel implique un amour sous condition contrairement à l’amour maternel qui, de structure, peut être dit sans condition. Un jeune a besoin de la présence de ces deux amours, parfois en contradiction, pour grandir et frayer sa voie. C’est d’ailleurs ce que dit souvent spontanément une mère qui élève seule son (ou ses) enfant(s) : je dois jouer les deux rôles !
Malheureusement, dans nos sociétés occidentales, accompagnant le mouvement légitime de vouloir en finir avec le patriarcat, nous avons discrédité la pertinence de ce “principe paternel” qui, comme je viens de l’évoquer n’est pas identifiable au seul père de la réalité.
Sans la complémentarité de ces deux principes, les enfants se retrouvent “sous-équipés”, écrivez-vous…