n spécialiste actuel des relations internationales et des problèmes stratégiques l’a affirmé sans détours, « la géopolitique s’organise autour d’une interrogation inavouée : qui détiendra la puissance décisive dans le monde futur ? » (1). Autrement dit, au train où vont les choses : qui exercera sans partage le triple pouvoir culturel, politique, économique, sur l’ensemble de la planète devenue oïkoumenê unique après achèvement du processus actuel de mondialisation ? Or, tous ceux qui sont attentifs à son œuvre savent que cette interrogation, de moins en moins « inavouée » depuis la parution du Grand échiquier de Zibniew Brjezinski (2) et les attentats du 11 septembre 2001, est au cœur de l’écriture de Jean Parvulesco. Mais chez cet adepte de la « géopolitique transcendantale » esquissée par le trop tôt disparu Dominique de Roux – qui lui dédicaça son De Gaulle (3) – l’interrogation en question prend une dimension particulière, elle fait exploser le cadre étroit de la géopolitique conventionnelle.
La Royauté mythique,
« pierre angulaire » de la géopolitique transcendantale
Jean Parvulesco ne fait pourtant que reprendre, comme tout bon géopolitologue, l’axiome-clé formulé par le géographe anglais Halford Mackinder (1861-1947) : « Qui contrôle le « Hearthland » [le Cœur des terres centre-asiatiques] contrôle l’Ile du monde [l’immense Bloc Continental Eurasiatique], qui contrôle l’Ile du monde contrôle le Monde ». Cependant, si l’axiome est repris, c’est rien moins que pour être transmuté ou, comme disaient autrefois les bâtisseurs de cathédrales, pour lui poser sa « clef-de-voûte », sa « pierre angulaire », à savoir le concept géospirituel de Centre du Monde, réverbération terrestre du Cœur du Christ. Rien là de fumeux, car cette idée de Centre du Monde était connue et prise au sérieux en chrétienté médiévale comme « Royaume du Prêtre Jean » ; elle est toujours présente en contexte tibéto-mongol comme « Royaume de Shambhala », « résidence » du Chakravartin ( « Celui qui fait tourner la Roue [chakra] du Dharma [la Loi universelle] » ). Royaumes mythiques, c’est à dire royaumes exprimant une réalité subtile cachée derrière la réalité empirique, les royaumes du Prêtre Jean et de Shambhala sont « imaginalement » situés au cœur du Bloc Continental Eurasiatique, l’Île du Monde, tout comme le Hearthland de Mackinder. Ainsi, dans l’optique parvulescienne, le perpétuel combat géopolitique transcendantal opposant le modèle thalassocratique quantitatif, financier, nomade et marchand – « Qui domine les mers domine le commerce mondial » avouait le navigateur Walter Raleigh (4) –, et le modèle tellurocratique qualitatif, productif, enraciné et culturel, se voit appréhendé à son véritable niveau, eschatologique : « …les enjeux ultimes […] des batailles finales actuelles, apparaissent comme étant, en dernière analyse, des enjeux fondamentalement spirituels et religieux. » (p. 363)
Vladimir Poutine « époux mystique »
de la Sainte Russie ?
Ouvrage incontournable pour tous ceux qui s’essaient à visiter les coulisses de l’histoire mondiale, Vladimir Poutine et l’Eurasie, édité par Les Amis de la Culture Européenne en 2005, reprend des articles s’étendant sur près de trente années (5). Depuis La doctrine géopolitique de l’URSS paru en 1977, jusqu’à L’assomption de Vladimir Poutine datant de 2004, ce sont ainsi pas moins de vingt-huit étapes d’un voyage dans les arcanes de la géopolitique transcendantale, géopolitique exaltée (au sens de l’exaltatio, de ce qui tire vers le haut : altus ) tout autant qu’exaltante, que Jean Parvulesco nous fait parcourir. En effet, cette géopolitique là « est le fait d’une intervention extérieure, de niveau transcendantal, dans la marche immédiate de l’histoire, qui en rehausse le cours et en change révolutionnairement l’orientation du moment. » (p. 338) L’écorce de la géopolitique extérieure, consensuelle et horizontale, y est percée, la sève de la géopolitique intérieure, ignorée et verticale, mise en lumière. En forgeron-alchimiste de la littérature de combat sophianique – car c’est bien à un combat pour l’Âme du monde que l’auteur convie le lecteur – Jean Parvulesco s’emploie de cette manière à travailler la matière métapolitique et géopolitique dans le dessein proclamé de façonner un « outil », outil conceptuel forgé dans le feu de l’imaginal, « outil contre-stratégique décisif d’un combat total » (p. 12).
Vladimir Poutine n’ayant accédé au pouvoir qu’en 2000, seuls six chapitres du livre, hormis la préface, traitent directement du chef de l’État russe. Pour autant, la cohésion du recueil ne s’en trouve nullement altérée, et ce, de par le fait que le destin de « l’homme de la dernière bataille », « la bataille pour la mise en place révolutionnaire de l’« Empire Eurasiatique de la Fin » » (p. 227), aurait été en quelque sorte préparé par les matrices de la Providence afin d’épouser les « missions eschatologiques de la Russie ».