Il aura été un des derniers
chanteurs « à texte » (avec Claude Nougaro) à réussir à
s’imposer, « passer les mailles du filet » dira-t-il, au moment
où la vague des « yéyé » envahissait le paysage de la chanson
française en emportant pratiquement tout sur son passage, y compris
Serge Gainsbourg*, de la même génération et la même école (le
cabaret de la Rive gauche).
Guy Béart fut un peu oublié, mais
pourtant son œuvre est très intéressante et devrait tôt ou tard
trouver sa juste place dans l’histoire du répertoire. Du moins on
peut l’espérer.
L’originalité de Guy Béart,
formidable mélodiste, aura été de ramener la « chanson à texte
» vers les racines de la chanson traditionnelle ou folklorique,
comme on disait à l’époque. Il a systématisé ce qui était
déjà à l’œuvre chez Georges Brassens dont les chansons
renferment des références explicites (dans la forme et dans le
fond) à la chanson traditionnelle et à la poésie (aussi bien
celle du Moyen-âge que celle du XVIIIe ou du XIXe siècle).
L’écriture de Guy Béart est
peut-être moins littéraire que celle de Brassens, mais elle est
plus directe, plus simple, plus « moderne ». S’appuyant sur les
formes de la chanson traditionnelle, Guy Béart aura cependant
traité des sujets contemporains, moins « intemporels » que ceux
de Brassens. Béart a parlé de son époque et la langue de son
époque en traitant musicalement ses chansons comme des chansons
folkloriques dans lesquelles on entend parler de téléphones, de
voitures, de télé, de bombe à neutrons etc.
Près de quarante ans plus tard, on
constate à leur écoute que nombre d’évocations restent
actuelles (au hasard : Le dopage dans le Tour de France ( !) dans
« La Vérité », les médias et le sensationnel dans
« Tournez rotatives », etc.) De nombreuses chansons de son
répertoire sont des témoignages de leur époque, traitées avec
des formes de chansons « traditionnelles » héritées d’un passé
indéfini.
Au début des années soixante-dix il
a d’ailleurs consacré deux albums aux chansons du patrimoine
français anonyme. C’est vrai que la période était propice au «
folk » qui était alors à la mode, mais il s’agissait surtout du
« folklore » américain. Guy Béart a eu le mérite de nous
rappeler que nous avions aussi de belles « Très vieilles chansons
de France ».
C’est peut-être, entre autres, cet
aspect folklorique de ses chansons qui lui aura valu le statut de
ringard qui fut longtemps le sien, sans doute aussi à cause des
« comiques » de télévison, comme Les Nuls, qui en avaient
fait une de leur cible favorite.
Loin des textes alambiqués et
poétiques chantés sur des musiques peu dansantes par les
« successeurs » de la Rive gauche, et loin du rock’n roll
pour les kids , il a tracé un chemin très original en écrivant
des chansons populaires, dans le sens le plus noble et le plus
ancien du terme. Ce fut un apport considérable au répertoire dont
avec un peu de recul nous devrions finir par mieux apprécier
l’importance. Toutefois, comme n’importe quelle œuvre, celle de
Guy Béart reste maintenant en ce qui concerne sa postérité à «
l’épreuve du futur ».
Pierre Delorme