- Monsieur, cédez-moi votre diamant.
- Monsieur, je veux bien ; cédez-moi en échange votre travail de toute une année.
- Mais, Monsieur, vous n’avez pas sacrifié une minute à votre acquisition.
- Eh bien, Monsieur, tâchez de rencontrer une minute semblable.
- Mais, en bonne justice, nous devrions échanger à travail égal.
- Non, en bonne justice, vous appréciez vos services, et moi les miens. Je ne vous force pas ; pourquoi me forceriez-vous ? Donnez-moi un an tout entier, ou cherchez vous-même un diamant.
- Mais cela m’entraînerait à dix ans de pénibles recherches, sans compter une déception probable au bout. Je trouve plus sage, plus profitable d’employer ces dix ans d’une autre manière.
- C’est justement pour cela que je crois vous rendre encore service en ne vous demandant qu’un an. Je vous en épargne neuf, et voilà pourquoi j’attache beaucoup de valeur à ce service. Si je vous parais exigeant, c’est que vous ne considérez que le travail que j’ai accompli ; mais considérez aussi celui que je vous épargne, et vous me trouverez débonnaire.
- Il n’en est pas moins vrai que vous profitez d’un travail de la nature.
- Et si je vous cédais ma trouvaille pour rien ou pour peu de chose, c’est vous qui en profiteriez. D’ailleurs, si ce diamant a beaucoup de valeur, ce n’est pas parce que la nature l’élabore depuis le commencement des siècles, autant elle en fait pour la goutte de rosée.
- Oui, mais si les diamants étaient aussi nombreux que les gouttes de rosée, vous ne me feriez pas la loi.
- Sans doute, parce qu’en ce cas vous ne vous adresseriez pas à moi, ou vous ne seriez pas disposé à me récompenser chèrement pour un service que vous pourriez vous rendre si facilement à vous-même.
(Frédéric BASTIAT, Harmonies Economiques)
on peut bien sur remplacer le mot diamant par oeuvre et ça fonctionne presque aussi bien.