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Michel Tarrier Michel Tarrier 16 octobre 2011 08:37

L’agriculteur souffre-douleur, ça va comme ça !

Autres temps, autres mœurs, autres intérêts et autres aveux. En France, la dénomination « agriculteur » est seule reconnue par l’administration française, le mot « paysan » ayant été banni dès l’époque où le terme portait une connotation péjorative liée à une vie sans ambition (que l’on dirait aujourd’hui décroissante, auto-suffisante…).

Au statut fluctuant, le laboureur (et ses enfants…) est tantôt moqué comme bouseux inculte négociant la pire daube, tantôt vénéré comme le noble moissonneur payé d’ingratitude. Comme la longueur des jupes, les renommées sont changeantes. On notera ainsi et au passage que l’étiquette plus pompeuse d’exploitant agricole aurait servi à l’origine de son usage à anoblir le paysan originel, notoirement considéré au début du siècle passé comme une brute analphabète. Cette auréole date évidemment des années 1960 durant lesquelles la révolution verte, induite par la modernisation des techniques culturales, l’invention par sélection de nouvelles variétés céréalières à haut rendement, l’avènement des engrais minéraux et des produits phytosanitaires, pouvait laisser accroire à l’apparition d’une agriculture non plus empirique et traditionnelle, mais scientifique, agronomique et performante. L’agriculture passait d’une simple tâche rude, ingrate et « bouseuse » à une phase d’entreprise aussi moderne qu’une autre. De quoi sortir d’une ruralité primaire, situation de toutes les hontes ! De quoi aussi remplacer la combinaison bleue et maculée de boue et de merde d’une agriculture naturelle et organique, par une blouse blanche de laboratoire tachée cette fois de produits chimiques d’une nouvelle agriculture industrielle et synthétique. On y perd les poumons mais on monte d’un cran dans l’échelle sociale. L’apprenti sorcier est mieux coté que le laboureur. Il était alors de mise de minimiser les travaux manuels. Par un effet magique des publicitaires, les valeurs se seraient maintenant inversées, le plouc et sa rougeaude de fermière ayant récupéré leurs lettres de noblesse, tout particulièrement sur les boîtes de camembert, les pots de miel et de confiture, les emballages de beurre dit fermier… Même si nos enfants sont rendus obèses par le fast-food et potentiellement cancéreux par les aliments chimiques, les moustaches bucoliques de José Bové nous procurent l’illusion de vivre à l’heure d’un Roquefort local, mais qui n’est en fait qu’un produit d’exportation de plus dans la mondialisation que l’on sait.

Selon une enquête de 2010 de l’Institut de veille sanitaire (2010), plus d’un agriculteur français se suicide chaque jour en France. Et le taux de suicide chez les exploitants agricoles français serait le plus élevé toutes catégories socioprofessionnelles confondues. La plupart, à force de compromissions et d’endettement sont poussés au bout du rouleau. D’autres se font peut-être justice ? Tout comme les médecins pourvoyeurs des industries chimiques qui nous empoisonnent à force d’allopathie devraient aussi faire montre de graves cas de conscience. Empêtrés dans les conséquences d’une crise sociale et économique, pris entre le marteau (prix de l’équipement et des fournitures) et l’enclume (prix de vente aux distributeurs), les producteurs de produits agricoles sont victimes d’un rapport de force défavorable de la part des autres acteurs d’une filière pour le moins détestable. Et les subventions allouées au secteur suscitent l’intolérance dans l’opinion alors même que ces aides publiques sont inégalement réparties et qu’elles profitent surtout à des acteurs privilégiés de l’industrie agro-alimentaire.

Le phénomène se vérifie dans le monde entier, en des proportions parfois plus effarantes comme en Inde où, selon les autorités, 17.368 paysans se sont donnés la mort en 2009. L’Institut Tata en sciences sociales rapporte que 150.000 paysans indiens se sont suicidés au cours des dix dernières années. Dans les pays du Sud, c’est autre chose. Les gens n’ont pas notre accès facile à une saine information et on peut comprendre, sans les traiter de collabos, que des paysans indiens se laissent manipuler par d’immondes groupes semenciers et agrochimistes, et que le piège se referme, que se voyant dépendants ils préfèrent en finir. Chez Monsanto & Co, on parlera froidement des dégâts collatéraux d’une modernisation de l’agriculture, incontournable pour « voler au secours » de la faim dans le monde !

Une paysannerie qui a mal tourné ne peut être rachetée par les trois paysans de l’opérette bio jouée par intermittence dans le confessionnal de notre mentalité judéo-chrétienne tordue. L’agriculteur repentant ou souffre-douleur, ça va comme ça ! Et le coup du colibri, on a déjà donné. C’est l’exception qui confirme la règle, c’est le rêve à deux balles qu’on nous vend pour supporter l’indigeste réalité. Les colibris sont commandités par les charognards, le bon Pierre Rabhi est traîné par Hulot chez Drucker et, ainsi sponsorisé par le pouvoir, il nous arrache des larmes de crocodile. Philippe Desbrosses est moins souvent dans son champ que dans les corridors des Grenelle et autres mascarades et mystifications où il s’accouple avec tous les gredins marchands de faux-espoirs et des remèdes cosmétiques tout trouvés pour désamorcer les bombes. Pendant ce temps-là, la justice redouble d’injustices dans la persécution du semencier Kokopelli – coupable d’offrir de vraies semences paysannes - parce que lui ne fait pas de cadeau à l’ennemi identifié, qu’il ne prête pas le flanc à tous les outrages et qu’il a engrangé les raisons politiques et pas seulement niaises de son militantisme. Le dernier bon paysan n’est plus qu’un job folklorisé, un jouet au bout d’une ficelle, le parfait hochet de l’ultralibéralisme faiseur de déserts agraires. Si le paysan bio new look n’existait pas, il faudrait l’inventer pour faire passer la pilule agrochimique à la majorité de ceux qui n’y ont pas accès. Les fondations, assoces et clubs d’écotartuffes se chargent du reste. Je le montrerai plus loin, le bio est monstrueusement anti-démocratique. L’agriculture biologique est élitiste par la base. Et pas seulement par la base, allez donc voir les prix dans les boutiques bcbg de La vie claire des beaux quartiers. Tout le monde ne peut pas faire son potager, et faut-il que pour se faire le voisin ne nous balance pas des nuages de biocides subventionnés. Les agrochimistes sont prêts à financer le plus beau film du monde qui vénèrerait le retour au soc et à l’agraire. Et alors, est-ce un aveu ou une simple preuve de cynisme marchand ? Pour vendre ses microcrédits, l’économiste-banquier Attali commandite un livre sur Gandhi à l’atelier d’écriture Attali. EDF soutiendrait demain aussi un plan de retour à la bougie si Hulot le demande. La schizophrénie est plus qu’ordinaire dans une société volontairement bipolaire par la fourbe stratégie péripatéticienne des marchands du temple.


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