Sujet très intéressant non pas en ce qu’il nous en apprend mais plutôt en ce qu’il nous regarde et confronte. Disons que c’est son côté miroir qui fait tout son effet. Miroir à la fois individuel et social.
Des sujets présentés en miroir, il n’y en a pas tant que ça sur ce site. Dugué ou Villach semblent avoir cette tendance à nous proposer un miroir mais il est souvent si bricolé par leurs propres filtres et désirs d’influencer que nous ne nous y reconnaissons pas trop.
J’apprécie donc ce miroir sur la question des poils ainsi que toutes les contributions à la suite puisque toutes enrichissent ce miroir de facettes très personnelles. On voit que les avis sont partagés, ce qui confirme qu’il n’y a jamais consensus total et les mainstreams -qui existent sujet par sujet- ne sont de consensus que relatif.
Face aux modes, aux pensées communes, on se croit rebelle d’exception alors qu’on n’est pas seul, loin de là. Quand on est dans la minorité réfractaire, on passe au silence, à la clandestinité, à la discrétion, mais on existe.
Concernant plus exactement le sujet du poil, je veux bien qu’on évoque ou convoque les positivations de l’épilation de type « Avec ses deux lames, Gillette vous rend la peau plus douce »
ou de type culturisme ou encore de type bas nylon.
Mais je crois qu’il faut ajouter les négativations du poil.
C’est une chose de dire « Regarde comme j’ai les jambes douces » c’est autre chose de dire « Regarde les bras de celle-là, c’est sûrement une Portugaise »
J’admets volontiers avoir vu et entendu beaucoup d’incitations positives à l’épilation (Tarzan, Monroe, Gillette GII...) mais j’ai entendu au moins autant de moqueries et d’insultes négatives sur le poil.
Ainsi, quand on propose un miroir sociétal, on ne devrait pas zapper les aspects très durement communautaristes de nos comportements. J’ai entendu des centaines de fois des réflexions railleuses sur les poils de portos à l’époque où les Portugaises passaient pour être surtout des femmes de ménache alors que je n’ai jamais entendu quiconque protester de ces moqueries en live. Chacun se joignant bruyamment aux rires en tirant discrètement ses manches vers le bas. C’est exactement à l’instant où une personne a lancé une raillerie poilante contre quelque femme au loin, que ses compagnons de table, qu’ils soient hommes ou femmes, passent à leur tour talibans du poil. Si à cet instant de la moquerie ils ne sont pas capables de protester et s’ils se joignent aux rires, ils passent talibans. On peut donc pousser le raisonnement en posant que seuls les esprits forts à la George Sand ou à la Frida Khalo sont capables de résister explicitement. (Frida avait osé le sourcil épais à une époque où les femmes se l’épilaient complètement pour le redessiner au crayon)
Sinon, j’ajouterais qu’en plus du marketing positiviste de l’épilation à la Tarzan-Gillette, nous avons eu à traiter en repoussoirs certaines barbes et moustaches à connotation très rétrogrades ou anti modernistes de type Landru, Staline, Hitler, Fidel, les Amish, Yiddish et autres islamistes. Le père Noël ne faisant alors exception que par la blancheur de ses poils.
Cela pendant que le bouddhisme et l’Extrême Orient passaient en vogue. On ne peut pas dire que Brucle Lee et Crying Freeman aient promu le poil que déjà la BD avait fortement réprimé (à l’exception d’un certain Astérix)
Enfin, il y a eu un certain report du poil vers le cheveu et le cil. L’Oréal nous a bien matraqués avec les longs cheveux ondulés des femmes, avec leurs cils les plus longs possibles pendant qu’elle proposait de nous épiler les aisselles et les jambes. Danse avec les loups avait fortement soutenu le cheveu long pour les hommes en signe de liberté d’avant colonisation. Gonzague Saint Bris, BHL et mille artistes soutenaient le cheveu long pour marquer comme une corrélation entre la liberté de leur pensée et la longueur de leur coupe dans le vent.
Ce n’est qu’à la suite d’une très grosse pression des esthétiques hygiénistes (surtout pas de cheveu dans la soupe) que nous avons avalé la couleuvre skin head pour passer tout de même au crâne rasé.
Comme par ailleurs la Police nous trace sur nos méfaits par le poil, il n’est pas difficile de prédire qu’il va continuer de se faire petit.
Je viens d’évoquer la pression hygiéniste sans la détailler parce qu’elle est très connue. Mais il a existé également une pression sécuritaire moins connue.
En particulier dans le secteur de la machine (fraiseuse, tour, rectifieuses) il avait été remarqué un grand nombre d’accidents survenus du fait que l’ouvrier aux cheveux longs au vent et trop penché sur la pièce à usiner, s’était fait happer par la machine. Il y a donc eu dans tous les ateliers du Monde des affiches et recommandations interdisant les cheveux longs. In fine, l’ouvrier devait avoir le cheveu et l’ongle court pendant que l’intellectuel arborait ongles et cheveux longs.
Ajoutons un détail : il n’était pas bien vu d’avoir un poil dans la main.
Il était fatal qu’à une époque à maillot de bain, à exposition de corps sur plages et à stars systématiquement dénudées, toute la problématique du poil atteigne les zones les plus intimes. Il était logique que tout le discours social porté par le poil sur la tête aboutisse à un discours avec son partenaire porté par le poil sur le cul.
Nous arrivons même au moment où chaque prosélyte du pubis glabre cherche à signaler par le haut qu’il ne supporte pas le poil sur le bas. Ainsi, un moindre tatouage visible à tous peut servir à avertir qu’on ne tolère le poil nulle part. Car imaginons bien le choc et la déconvenue pour celui qui serait d’une école de découvrir au dernier moment qu’il est face à un partenaire de l’autre école.
Tout cela aboutit à ce que si autrefois on corrélait la sagesse à la longueur de la barbe, on n’aurait plus l’idée d’en faire autant de nos jours. Du reste, dans les régions occidentales et occidentalisées, on n’a plus idée de représenter la sagesse. Il semble qu’il y ait eut, depuis Jules Verne, un transfert de la transcendance qu’on accordait à la sagesse vers une transcendance qu’on accorde à la liberté associée à la connaissance et à l’innovation prométhéenne.
Mais bon, comme nous nous voyons maintenant dans un cul-de-sac, épilé ou pas, je me demande sur quoi nous allons transférer cette transcendance.
Mah, nous verrons sans doute mieux notre nouvel avatar après le 21 décembre prochain.
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