« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie) 2/3
(Tunis, le 1 février 2012)
Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba
(suite)
Codes vestimentaires, parti pris pédagogique et parti pris professionnel
Un code vestimentaire scolaire ou professionnel n’est imposé que dans les établissements ou dans les espaces publics où une formation est dispensée et où un métier est exercé. Il peut donner une indication au sujet de l’occupation de celui qui l’adopte : blouse blanche pour les médecins, robe noire des avocats, uniforme scolaire pour les élèves et pour les étudiants dans des institutions prestigieuses, uniforme particulier porté par les élèves des établissements d’enseignement professionnel, uniformes des forces de l’ordre etc. Mais il s’agit surtout sur le plan professionnel d’une mesure restrictive de la liberté personnelle justifiée par la nature du travail et qui provient des règles d’hygiène et de sécurité rendues obligatoires par la législation : gants médicaux, blouse, casque ou masques de protection.
Un code vestimentaire scolaire limite la liberté des élèves et des étudiants pour des raisons liées aux conditions optimales de la transmission des connaissances. Il indique ce que les apprenants ne doivent pas porter, c’est-à-dire les vêtements inappropriés à l’activité et à la situation d’apprentissage comme les voiles couvrant le visage en tant qu’obstacles à l’interaction pédagogique, les habits susceptibles de dissiper l’attention de l’apprenant comme les habits que l’on porte pendant les mariages, les tenues légères etc. Le code vestimentaire scolaire est une norme sociale au départ non écrite, tacite et spontanément suivie par les apprenants mais qui peut être rappelée par écrit en cas d’infraction, comme l’ont fait par une pure coïncidence le 2 novembre 2011 le conseil scientifique de la Faculté des Lettres, des Arts, des Humanités de la Manouba, et les doyens des quatre facultés de médecine du pays dans des résolutions qui ont été portées à l’attention de l’opinion publique dès le déclenchement de la crise dans le cas de la FLAHM et le 25 janvier 2012 pour les facultés de médecine. Ce code vestimentaire est aussi un code professionnel valable pour les enseignants et pour le personnel administratif et ouvrier comme le souligne le procès-verbal de la réunion du conseil scientifique de la FLAHM. C’est ce code tacite interdisant de se voiler le visage dans les établissements scolaires qui était respecté par les jeunes filles scolarisées en Tunisie pendant la première moitié du siècle dernier. Les adolescentes à la fin du cycle primaire et au début du cycle secondaire portaient sur le chemin de l’école le sefsari mais elles l’enlevaient dès leur arrivée dans l’établissement. Les parents qui ne voulaient pas que leur fille soit dévoilée dans les espaces publics la retiraient tout simplement de l’école. Il n’y avait certes pas de mixité mais les instituteurs étaient surtout des hommes !
Dans les institutions universitaires où une formation pratique est dispensée à côté d’un enseignement théorique la liberté personnelle est restreinte par un code vestimentaire scolaire et professionnel au nom à la fois d’un parti pris pédagogique et de considérations professionnelles. C’est ce qui ressort de la lettre envoyée au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique par les doyens des facultés de médecine et où, pour justifier l’interdiction absolue du port du niqàb dans l’enceinte des facultés de médecine et dans les établissements hospitalo-universitaires, ces derniers se réfèrent à des motivations liées « aux spécificités de la formation médicale », à la formation fondamentale et à la formation pratique sans occulter les raisons de sécurité, que le conseil scientifique de la FLAHM a mises entre parenthèses dans un esprit de conciliation que personne ne veut relever car il est de bonne guerre de présenter le doyen de la FLAHM comme un homme intransigeant mû par des considérations politiques (sic !). « Ce genre de vêtement, lit-on dans cette lettre, dans une allusion au niqàb, est incompatible avec les impératifs pédagogiques dans le domaine médical et avec les exigences de sécurité dans les centres hospitalo-universitaires ». Ces impératifs pédagogiques sont classés dans ladite lettre en deux catégories :
une première liée à la formation professionnelle. Elle concerne les stages organisés au profit des étudiants dans les CHU. De ce point de vue, trois arguments sont présentés par les doyens. Le premier concerne « l’uniforme professionnel réglementé par le ministre de la santé publique et qui exige de ne pas se voiler le visage ». Le second a trait au fait que « le port du niqàb se contredit avec le principe de la communication non verbale avec le malade et sa famille et qui constitue les 70% de la démarche d’élaboration d’un diagnostic médical et de la conduite thérapeutique à adopter ». Le troisième est lié au respect des règles d’hygiène et d’asepsie, le port du niqàb se contredisant dans l’argumentaire des doyens avec la nécessité d’avoir les mains propres : « de se laver les mains de façon répétée pour éviter d’être contaminé par les maladies infectieuses ».
une deuxième catégorie d’arguments en rapport avec la formation théorique. Les doyens estiment sur ce plan que les cours théorique exigent « une communication verbale et non verbale avec l’enseignant indispensable du point de vue pédagogique ».
Les procès-verbaux des différents conseils scientifiques, les motions syndicales nationales régionales et locales, les communiqués de l’UGET (Union Générale des Etudiants de Tunisie), les initiatives conjointes entre des institutions appartenant à la même spécialité, comme celle initiée il y a plus de deux mois par les facultés de médecine du pays et ses résultats, la rencontre qui s’est tenue hier à Sousse entre les doyens des cinq facultés des lettres et sciences humaines du pays, les déclaration des universitaires dans les médias nationaux montrent une détermination irrévocable de la profession à faire respecter le code vestimentaire en vigueur dans les établissements d’enseignement depuis leur création. Ce code, à l’origine non écrit et tacite a été rappelé par les décisions des conseils scientifiques de la plupart des institutions d’enseignement, publié et porté au moins à la connaissance des étudiants et de leurs parents. Il reste le code vestimentaire tacite dans les établissements, qui faute de niqàb, n’ont pas eu besoin d’aborder le problème.
L’analyse précédente montre que ce code ne s’oppose pas aux droits des personnes en vertu d’un principe général de droit qui stipule que les restrictions aux libertés individuelles peuvent se justifier par la nature de la tâche à accomplir et proportionnés au but recherché, ce qui signifie que les impératifs pédagogiques et professionnels priment dans les espaces réservés à la formation théorique et pratique sur la liberté personnelle. La tâche de transmission des connaissances, d’un savoir aussi bien que d’un savoir-faire autorise le recours à un code vestimentaire qui oblige les apprenants à avoir le visage découvert et dans certaines spécialités comme la médecine les mains nues, dans un souci – et c’est là le but recherché – d’efficacité pédagogique et professionnelle. Les formateurs ne sauraient aussi céder à la pression de ceux qui exigent la légalisation du niqàb parce qu’ils ne sont pas prêts à se laisser confisquer les prérogatives pédagogiques qui leur ont été consenties par la loi en raison de leur compétence en la matière et qu’ils exercent par le biais de leur conseil scientifique.
Du côté des défenseurs du niqàb, l’argument de la liberté vestimentaire que je viens de réfuter est brandi au nom d’une loi religieuse qu’ils considèrent comme supérieure et qui est récusée par tous les exégètes tunisiens et des plus controversées dans le monde musulman. La position doctrinale d’Ennadha exprimée par cheikh Rached Ghannouchi considère, d’ailleurs que le port du niqàb n’est pas une obligation. J’ai montré dans cette analyse les périls liés à la légalisation du niqàb qui plongeraient l’université tunisienne dans la spirale infernale des conflits politico-religieux à cause de cette controverse justement et des risques liés au mimétisme qui pourrait amener d’autres groupes à arborer des signes d’appartenance sectaire, alors que l’attitude la plus sage consiste à lui épargner ces querelles destructrices. ».
(à suivre)
Salah HORCHANI
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