« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)
(Tunis, le 18 février 2012)
Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba
Conférence de presse de monsieur Moncef Ben Salem
Le Ministre reconnaît l’autonomie institutionnelle en matière de niqàb mais refuse de prendre les mesures d’accompagnement susceptibles d’empêcher les violations de ce principe
« Le tribunal administratif a estimé que tout ce qui était de nature à entraver le déroulement des cours était interdit. Mais le ministre ne peut pas intervenir. Cela n’entre pas dans ses prérogatives. Les directeurs et les doyens sont les seuls habilités à décider de ce qu’ils jugent utile dans cette situation ».
C’est la réponse donnée par monsieur Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique selon Mosaïque FM – et reprise pratiquement dans les mêmes termes par tous les médias de la place – aux journalistes qui l’interrogeaient, à l’occasion du point de presse qu’il a tenue hier, sur les derniers développements de la situation dans l’affaire du niqàb et plus particulièrement sur l’avis du tribunal administratif au sujet du port de ce vêtement dans l’enceinte des établissements d’enseignement supérieur. Le ministre a fini par donner raison à l’institution universitaire et à reconnaître l’autonomie institutionnelle en la matière après avoir pris connaissance de cet avis sollicité le 30 décembre 2011 par le ministère. Malgré la formule adoptée qui est ambiguë – puisque le port du niqàb n’entrave pas le déroulement des cours mais l’interaction pédagogique – (mais c’est le journaliste de Mosaïque FM qui est à l’origine de cette ambiguïté de la formulation), il valide le règlement intérieur adopté par les conseils scientifiques des établissements d’enseignement supérieur, reconnaissant d’après le quotidien Al Maghrib aux responsables qui président à leurs destinées « le droit d’interdire le niqàb [ à comprendre comme la nécessité de se découvrir le visage et non de porter un autre vêtement) pendant l’inscription, les séances de formation, les examens et d’imposer le dévoilement du visage en cas de nécessité ». Le directeur des affaires juridiques au ministère, monsieur Ali Kabadou reprend la même idée quand, il déclare à l’envoyé de la Télévision nationale Tunisienne : « Les conclusions de la consultation sont claires en ce qui concerne le domaine d’intervention du doyen. Il a le droit de demander le dévoilement du visage chaque fois qu’il est question de fournir une prestation dans le service public dont il assure le bon fonctionnement ».
Ce sont là les revendications des universitaires depuis le début de la crise, justifiées au nom de l’autonomie institutionnelle et des prérogatives scientifiques et pédagogiques considérées comme la chasse gardée des enseignants, comme en témoignent cette rubrique quotidienne qui a rendu compte de toutes les motions syndicales nationales ou locales, de toutes les résolutions des différents conseils scientifiques . Mais ces doléances ont toujours été rejetées, particulièrement lors des déclarations du ministre au Nouvel Observateur du 2 février, appuyé par des dirigeants nahdhaouis très influents comme monsieur Sadok Chourou dans une interview accordée au journal HaKaïk et publiée le 10 février, et monsieur Habib Ellouze dans une vidéo relayée par les réseaux de la jeunesse d’Ennadha et commentée par le journal électronique MAG 14. Le corps enseignant de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba se trouve rassurée par cette nouvelle position ministérielle, issue de l’avis du tribunal administratif, et les collègues estiment que la lutte que la FLAHM mène depuis presque 3 mois est en train de porter ses fruits, d’autant plus que les auteurs de ces déclarations font de la surenchère à qui mieux mieux pour donner raison aux partisans du niqàb.
Mais cette nouvelle attitude des autorités déçoit en revanche ces derniers qui, rebelles au règlement intérieur, souhaitaient la légalisation du port de ce vêtement par une décision ministérielle. L’un des meneurs de la fronde contre l’administration de la FLAHM ne cache pas sa déception. Il a confié à l’un de nos collègues qui lui suggérait de solliciter du ministre, en l’absence de locaux dans la faculté, l’affectation d’un lieu de prière dans le campus universitaire : « On ne peut pas compter sur monsieur Ben Salem. Il s’est avéré être un laïc ». De son point de vue, le ministre ignore la loi divine et consulte des instances qui, comme le tribunal administratif, commettent le sacrilège de se référer aux lois positives !
Les résultats de cette consultation n’ont pas surpris les enseignants et les observateurs de la scène universitaire puisqu’ils confirment les arrêts du tribunal administratifs des 7 juillet et 28 décembre 2011 rejetant le recours de deux étudiantes empêchées de porter le niqàb. Nous nous étions du reste étonnés de voir le ministère solliciter cette consultation dès lors que ces deux arrêts ne pouvaient que faire jurisprudence. Mais nous avons fini par comprendre les motivations d’un ministre, acculé après la lutte des universitaires de reconnaître la légitimité de leur position en matière de niqàb, mais très embarrassé de le faire dès le début de son mandat, pour ne pas créer de discorde entre Ennadha et les sit-ineurs, défenseurs acharnés du niqàb. C’est cet embarras et non la position du tribunal administratif qui explique la confirmation de son refus de publier un texte obligeant les étudiantes à se conformer à la stricte observance du règlement intérieur. Ce refus est une sorte de clin d’œil qui leur est adressé pour leur signifier qu’il ne cautionne pas, politiquement parlant, la position du tribunal administratif mais que le nouveau contexte de transition démocratique dans lequel vit le pays l’oblige, à son corps défendant, de tenir compte de la consultation.
A propos de ce texte, il faut lever un énorme malentendu. Les universitaires n’ont jamais demandé à leur ministre de se substituer à eux et de « légiférer » à leur place. Et quand le tribunal administratif juge que le ministre ne doit pas intervenir dans l’affaire du niqàb, c’est parce que la réglementation des codes vestimentaires n’est pas de son ressort mais fait partie des prérogatives de la profession. Mais ces réserves mises à part, cela ne lui interdit nullement d’appuyer le règlement intérieur de l’institution par un communiqué, une note de service ou une circulaire comme nous l’avons toujours réclamé et particulièrement dans notre motion syndicale du 20 janvier. Ces textes ne sont pas des décisions mais ils donnent, à propos d’une réglementation particulière (règlement intérieur, décrets, arrêtés) déjà adoptée, des informations que l’autorité administrative fait parvenir aux destinataires (étudiants, enseignants, cadre administratif), quand elle constate des carences, des infractions dans l’application des règlements pour les amener à rectifier le tir.
Que l’on assimile, par conséquent, correctement ces notions pour ne plus invoquer ni « vide législatif », ni « vide constitutionnel » mis en avant par le ministère chaque fois qu’il veut se dérober à ses responsabilités comme autorité tenue de faire appliquer toutes les dispositions réglementaires en vigueur , de soutenir les établissements quand ils ont des difficultés à les appliquer surtout lorsqu’elles bénéficient d’une quasi unanimité dans la profession concernée, de brandir toute la panoplie des mesures disciplinaires prévus en cas d’infraction et de protéger les enseignants contre les violences des frondeurs ! Les juristes sont d’ailleurs sidérés du recours à ce genre d’arguments parce que dans les pays démocratiques et dans les républiques civiles la liberté vestimentaire, comme liberté individuelle, fait partie certes des dispositions constitutionnelles mais elle n’est pas absolue : elle est limitée par les codes vestimentaires professionnels ou scolaires.
Le retour obsédant dans le discours de monsieur Moncef Ben Salem des formules telles que « vide constitutionnel », « vide juridique », « lois futures », « future constitution », ne trahit-il pas chez le ministre le secret espoir de voir aboli le code vestimentaire universitaire actuel, lorsque la prochaine constitution qui fera, selon les vœux des nahdhaouis, de la religion la source de la législation, sera promulguée ?
Dans son point de presse, le ministre a minimisé à nouveau les violences dont les enseignants ont été les victimes, les qualifiant d’incidents et il n’a évoqué à aucun moment le recours à des mesures de sécurité pour les protéger.
L’autorité de tutelle reconnaît l’autonomie institutionnelle en matière de niqàb. C’est un progrès, estiment les universitaires, mais son refus de prendre les mesures d’accompagnement susceptibles d’empêcher les violations de cette règle comme la publication d’un texte, sous forme de communiqué ou de circulaire, interdisant le niqàb – ce qui fait partie de ses prérogatives – et surtout les mesures de sécurité à même de dissuader les frondeurs de persévérer dans les violences verbales et physiques, les irruptions dans les salles de classe dont ils sont coutumiers depuis bientôt trois mois, ne permettra pas à la FLAHM de fonctionner normalement et de sortir de la crise. ».
Salah HORCHANI
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