L’essai de Todd et Le Bras m’a très profondément marqué. Il est recommandé aux étudiants en sociologie pour appréhender le fait social par l’exemple. J’en ai adoré la lecture.
Replacé dans le contexte actuel, ce livre contient un antidote puissant contre deux travers, deux réductions, deux appauvrissements courants : d’une part la bipolarisation, qui raisonne en termes de bien et de mal, logique binaire, manichéenne... d’autre part la hiérarchisation linéaire, qui raisonne sur une échelle unique de valeur et qui présume que certains sont supérieurs aux autres, qu’une supériorité dans un domaine (comme par exemple, l’échelle des revenus) témoigne naturellement d’une supériorité naturelle dans plein d’autres domaines, des droits au pouvoir, à se placer au dessus des lois... c’est la logique des beaux, des riches, des puissants, et, curieusement, une logique admise par des classes sociales qui n’y ont aucun intérêt...
Le bouquin de Todd et Le Bras n’aborde rien de ces questions mais permet de les résoudre en ouvrant l’esprit à d’autres logiques, des appréciations géographiques, notamment, c’est à dire planaires, où il n’y a ni dessus ni dessous, ni infériorité ni supériorité, mais simplement diversité, positionnements différents, spécialisation locale, adaptation spécifique au lieu ou à l’histoire propre, collective ou individuelle...
Et le plus extraordinaire est la possibilité de faire vivre ensemble ces diversités.
Le parti pris de l’ouvrage est ouvertement universaliste. Il est probablement anti-communautariste en ce qu’il indique que les communautés peuvent se dissoudre dans un élan commun sans y perdre leur identité.
Prolongée de nos jours, la démarche de ces chercheurs (à propos, le sont-ils encore ?) conduirait à se choisir des sujets de thèses sur, par exemple, la façon dont les communautés qui paraissent ou prétendent s’isoler de la France et de ses lois, inventent une façon proprement française de le faire, de revendiquer des racines et des influences externes...
Après, il faudrait ouvrir les yeux sur ce phénomènes à ceux qui se prétendent effectivement les gardiens de « notre » culture, pour les convaincre que ne pas « intégrer » ces composantes à ladite culture est une hérésie contre cette culture même.
Un avantage essentiel de ce livre est de priver de fondement l’appropriation du patriotisme par des crétins obtus, chauvins et souvent racistes. Ce patriotisme change alors de camp politique et s’élève en vertu. Par exemple, cette lecture permet d’être de gauche et fier d’être Français, aussi bien que honteux de la façon dont ce patriotisme est confisqué par l’’extrême-droite.
Le problème incident, mais lointain, est que l’universalisme français comporte aussi, dans une certaine mesure, une illusion « civilisatrice » tournée vers l’extérieur et qui a pu, par le passé, légitimer un colonialisme. C’est à mon avis la décolonisation qui a pu faire basculer certains vers le repli nationaliste et qui l’a droitisé résolument. C’est ce qui a affaibli les convictions pour une France d’intégration, et qui conduit plus ou moins à une construction « à l’américaine », où la mondialisation pousse à la constitution de communautés assez étanches au lieu de conserver une unité de destin.
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