Embraser le pays ? Hormis quelques professionnels de la rapine qui se font à chaque fois un plaisir de rejouer la nuit de cristal en brisant vitrines et abribus, je ne vois vraiment pas qui...
Et puis plutôt que de perdre mon temps à essayer de comprendre ce qui clochait, je me suis remis à lire du Céline. C’est très sombre mais finalement, cet écrivain-prophète avait tout analysé il y a 80 ans.
« Ça suffit pas la misère pour soulever le peuple, les exactions des tyrans, les grandes catastrophes militaires, le peuple il se soulève jamais, il supporte tout, même la faim, jamais de révolte spontanée, il faut qu’on le soulève, avec quoi ? Avec du pognon.
Pas d’or pas de révolution.
Les damnés pour devenir conscients de leur état abominable il leur faut une littérature, des grands apôtres, des hautes consciences, des pamphlétaires vitrioleux, des meneurs dodus francs hurleurs, des ténors versés dans la chose, une presse hystérique, une radio du tonnerre de Dieu, autrement ils se douteraient de rien, ils roupilleraient dans leur belote. Tout ça se paye, c’est pas gratuit, c’est des budgets hyperboliques, des tombereaux de pognon qui déversent sur le trèpe pour le faire fumer.
Il faut étaler les factures, qui c’est qui dèche ? C’est à voir.
Pas de pognon, pas de fifres, pas de grosses caisses, pas d’émeutes par conséquent.
Pas d’or, pas de révolution ! pas plus de Volga que de beurre en branche, pas plus de bateliers que de caviar ! C’est cher les ténors qui vibrent, qui vous soulèvent les foules en transe. Et les chuchoteries de portes cochères à cinq cents bourriques par carrefour ?
Ça revient des sommes astronomiques ! C’est du spectacle, faut mettre le prix, les frais d’émeute ça cube, ça ruine ! pour amener le trèpe à plein délire, qu’il secoue ses chaînes, la marmite, le pot-au-feu Duraton, que tout ça culbute et le tyran, qu’on étripe tout ça dans la joie ! la fraternité reconquise ! la liberté de conscience ! le Progrès en marche ! Que ça soye l’énorme Opéra, le plus géant de deux trois siècles que c’est une autre vie qui commence ! Ah ! ça alors c’est dispendieux ! Au prodige ! Tout un monde de petites bourriques à gaver, festoyer, reluire, des poulets de tous les plumages au picotin plein les Loges, de limaces à redondir, grassoyer, tiédir, mignoter, que tout ça vermoule l’édifice, chuinte et corrode à prix d’or. C’est des notes à n’en plus finir.
C’est hors de prix la Police qui prépare une Révolution, la pullulation d’émissaires, asticoteurs de griefs, des mille rancoeurs à la traîne, retourneurs de fiels.
Et il en faut ! Jamais de trop ! Comme c’est passif le pauvre monde, oublieux ! le baratin du damné, voilà du tintouin infernal, lui auquel le gros rouge suffit faut lui donner la soif du sang, qu’il puisse plus tenir dans son malheur, que sa condition le rende maboule, atrocement fauve, anthropophage. Lui qui demande qu’à rester tel quel, grognasseux, picoleux, fainéant. Il veut se plaindre mais pas autre chose. Il faut que tout lui tombe sur un plat. Pardon alors ! Maldonne Mimi ! C’est là qu’il se fait drôlement relancer par les “ardents” à tant par jour, les fonctionnaires de la Révolte. Et c’est encore que le premier acte, les prémices du drame, les exposés de la comédie, les rassemblements tapageurs. Faut pas en promettre des subsides, faut les amener luxurieusement, c’est un gouffre d’insurger le fretin, c’est le Pérou que ça mobilise, le trésor de la “Shell” y passe.
Pas d’or pas de révolution.
Le damné il est pas commode faut qu’on l’éclaire et bougrement, pour qu’il s’élance aux barricades, qu’il commence à faire le fou. Il préfère lui la vie de famille, l’autobus et le meeting baveux. Au fond il aime pas les histoires. Il est conservateur fini, il est de la terre, né Bidasse, faut pas l’oublier. Voter ça devrait bien suffire voilà ce qu’il pense intimement. Il tient pas aux sacrifices, aux piscines de sang. Il y tient même pas du tout. Il faut pour ça qu’on l’enfurie, qu’on le picadorise à mort. C’est un tintouin du tonnerre. Il est gueulard mais pacifique. Plus mendigot que fracasseur. Il veut bien encore des violences mais si c’est les autres qui dérouillent.
Il est comme toute l’armée française il veut défiler triomphant. Il veut sa voiture, son bois de rose, sa Retraite de vieillard à trente ans, tout des raisons pour pas mourir. La pêche à la ligne. Qui dit mieux ? Il veut pas mourir du tout. Les gardes civiques ça tue très bien ! Ils vous ont de ces mitrailleuses ! Sagesse d’abord !
À quoi bon changer l’ordre social pour que les autres se régalent et qu’on soye soi morts et martyrs ? Victoire ? C’est vite dit ! Mais pas d’omelette sans casser d’oeufs ! Et pas de bonnes victoires pour les morts ! Chacun réfléchit forcément !... Quelles garanties ? Chacun se demande “in petto”… Est-ce bien sérieux ? Va-t-on mourir pour le confort ?
Que les autres crèvent si ça leur chante ! On verra bien comment ça tourne… C’est là le hic, le point sensible, le “ne-pas-se-mouiller” paysan, c’est là qu’il faut pousser au crime ! à plein orchestre ! que l’or entre en transe et comment ! La vieille Bastille et ses neuf tours, serait toujours au poste, altière, hautaine, formidable, et ne gênerait vraiment personne, pas plus que Fresnes ou l’île de Ré, si les Banques, les démons de Londres, n’avaient pas fait le nécessaire, enflammé la viande saoule à temps, déchaîné l’émeute, le carnage, soulevé l’ouragan des ragots, les torrents de bave conventionnels, l’ébullition de la frime du sang. L’arrière-petit-fils de Louis XIV serait encore à l’Élysée, Marie-Antoinette révérée par tous les enfants des écoles, patronne de l’élevage des agneaux, si Pitt avait pas insurgé les petits scribouilleux de l’époque, pourri la noblesse à gaga, versé les ronds à pleines hottes, soudoyé la cour et les champs, les mères abbesses et les bourreaux… Sans or les idées ne sont rien. Il faut verser l’or à foison, à boisseaux, à tonnes, pour soulever le peuple. Qui n’en a pas n’insurge personne. Pas plus aujourd’hui qu’autrefois. Tout d’abord un commanditaire ! C’est la condition du spectacle ! Et point petit cave chichiteux ! quelque hagard effaré comparse ! Pouah ! Quelle horreur ! Quelle insolence ! Non ! Tel répondant colossal ! Le plus coûteux des opéras ! Y songez-vous ? L’Opéra des Insurrections ! Avec Déluges ! Choeurs symphoniques ! Oh ! la ! la ! Si ça vous entraîne ! Tâtez-vous avant d’y toucher ! Vous en avez ? Z’en avez pas ? Quelle est votre banque ? Vous êtes raides ?
Alors taisez-vous ! Caltez ! emmerdez personne ! Vous êtes qu’un petit impertinent ! un petit garçon mal embouti ! Allez donc apprendre la musique ! Ça vous disciplinera l’esprit ! On n’insurge qu’avec des espèces et pas du semblant ! des pichenettes ! Non ! Non ! Des trombes ! Cyclones de pèze !
Guillotine est fille de Guichet.
Ah ! trouver un commanditaire c’est le début de toute grande chose, le rêve de toute personne sérieuse, sans commanditaire point d’essor, le génie lui-même tourne à vide, bouffon bientôt, s’épuise en onaniques mirages. Rien ne peut réussir sans or, rien ne s’achève, n’aboutit, tout s’évapore au premier souffle. Au moindre méchant vent contraire, la première petite cabale, tout se dissipe et disparaît. Pour retenir les hommes ensemble, les posséder en franche meute, il faut leur garantir la soupe, l’écuelle régulière et copieuse, autrement ils prennent plusieurs maîtres et votre meute existe plus , vous êtes fini pour l’aventure, la chasse est bien fermée pour vous.
Ah ! C’est des choses qu’il faut connaître, qu’il faut respecter, c’est des Lois. Tenez par exemple Lénine et son compère Macaire-Trotsky, ils le connaissent eux le fond du sac… le fin grigri des sortilèges, ils s’embarquaient pas à lure-lure…
Admirez leur prévoyance, leur esprit d’administration, leur prosaïsme impeccable, leur vigilance aux aguets de tout bailleur présentable… jamais une seconde déportés du point essentiel : le pognon ! Au guet du nerf des batailles intrompables.
Ah ! que voici des gens sérieux ! C’est pas eux qui se seraient échauffés sur des motions courants-d’air, des vins d’amitié anisés, des hurluberluteries saoules, les vociférations du genre, les tonitruements romantiques, tous les ours creux de la ménagerie qui ne font peur qu’aux petits enfants. Ils voulaient bien des petits congrès qui ne font de mal à personne, pour dire comme ça qu’on a de la troupe, et bien soumise, qu’on est écouté en bas lieux, des rassemblements de minables, des agités de l’injustice, des pelliculeux de l’oppression, des inanitiés de la grande cause, tous les sous-nutris de brouets sales, les cancrelats du café-crème, les intraits enfiévrés de mistoufle, de bile et de bafouillage, il en faut pour le prurit, l’exaspération de la connerie, le baratin vaseux des masses. Des orateurs qui puent de partout, le chien mouillé because pardingue, des crocs because la carie, des nougats because ils sont deuil, de la gueule because l’estomac, tout ça qu’est dans la chtourbe rance, qui sort d’un hospice pour un autre, d’un cornet de frites pour la Santé il en faut pour envenimer le trèpe. Ah ! C’est les martyrs de la cause ! Ah ! c’est des choses qu’il faut connaître, que ça mord, grinche et puis dégueule sur le morceau, ingrats, infidèles, prétentieux, dès que ça déjeune un petit peu because ça n’a pas l’habitude.
Oh ! la grossière catégorie, oh ! la très rebutante clique, pour les personnes d’entreprise qui veulent pas crever champignols, engloutis sous projets foireux, embarbouillés dans les palabres, perdus dans les lunes, les promesses. La rhétorique c’est pour les foules, aux chefs il faut du répondant, le vrai répondant c’est la Banque.
C’est là que se tiennent les clefs de songe, le petit Nord et le grand secret, les Souffles de la Révolution. Pas de banquiers pas de remuements de foule, pas d’émotion des couches profondes, pas de déferlements passionnels, pas de Cromwell, pas de Marat non plus, pas de fuite à Varennes, pas de Danton, pas de promiscuité, pas de salades.
Pas un Robespierre qui résiste à deux journées sans bourse noire.
Qui ouvre les crédits, mène la danse.
Tout est crédit, traites validées, surtout dans les moments critiques où les reports sont épineux.
Pas de chichis ! pas de badinettes !... Les affiches se collent pas toutes seules… les afficheurs font pas crédit… Ils présentent leur note le soir même… Pour eux tous les soirs c’est le grand soir.
Voilà les humbles servitudes, tout est mesquin dans la coulisse. C’est pour ça qu’elle a réussi la bande à Lénine. Non seulement parce qu’elle était (biiiiiip), mais aussi qu’ils étaient sérieux, bien au courant des circonstances, qu’ils sont pas lancés découverts, qu’ils étaient sûrs de leur liquide, qu’ils étaient bourrés au départ.
Tout de suite ils ont donné confiance. Au nom de quoi ils causaient ? Au nom du monde des opprimés ? des Damnés de la Terre innombrables ? des écrabouillés de l’Injustice ? des atterrés de l’Imposture ?...
C’est bien entendu, ça va de soi ! Mais aussi, peut-on dire surtout, au nom de la Banque Loeb-Warburg qu’est autre chose comme répondant sous tous les degrés Latitude… Ils en avaient plein les vagues ces grands sournois de la bonne aubère, avant de propager les émeutes… et pas du pour, du qui s’entend, qui tinte guilleret, qui répercute… qu’est du divin cliquetis… qui remue le Ciel et la Terre… tous les échos des réussites… qu’est la sorcellerie des passions… Qu’est l’onde de magie droit aux coeurs… qu’autour d’elle toute musique s’éteint le frais cliquetis de l’or… la prestigieuse longueur d’onde !...
Bien sûr on était en famille, Trotsky, Warburg, Loeb… »
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