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En réponse à :


Éric Guéguen Éric Guéguen 30 octobre 2012 16:58

@ Morpheus.

Merci de répondre sur tous les fronts (à moi et aux autres), ce n’est pas évident, je le sais par expérience. Je crois que nous touchons maintenant les désaccords profonds entre nous, voilà qui est intéressant. Pour bien faire, et pour faciliter la lecture pour les autres intervenants, je vais me permettre de répondre à vos trois messages en un seul, et tenter d’aller directement à l’essentiel. Le tout sera fait en trois points distincts : le rôle des banques, la notion de bien commun, puis l’humanisme(ou le fait de croire « en l’Homme »). À chaque fois, bien sûr, il s’agira d’exposer mon point de vue, nullement figé je vous rassure, mais qui, en l’occurrence, n’a pas changé d’un iota à la lecture de vos réponses.

1 Le rôle des banques :

Je ne suis pas expert en la matière et j’ai tendance à tout disséquer par le biais de la philosophie (le fait est qu’elle me permet beaucoup de choses), mais je dirais les choses comme suit : le banquier est l’individu qui s’immisce entre deux individus aux finalités en chiasme et fait se rencontrer des gens sans le sou avec des besoins, et des gens fortunés qui, à l’abri du besoin, peuvent se permettre une épargne conséquente. Dans le monde mû par l’intérêt qui est le notre, le demandeur trouve le sien dans le fait de se voir prêter de l’argent pour telle fin donnée, l’opulent dans le fait de faire fructifier son argent et le banquier dans celui de récolter une commission au passage, en tant que courtier. En reprenant ce que vous avez dit, vous jugez immoral (moi aussi, et Aristote de même lorsqu’il lui donne le nom de chrématistique) le fait de faire travailler de l’argent et de rétribuer ainsi son propriétaire sans que n’ait été produit au passage quoi que ce soit. C’est là que je ne vous suis plus. Bien sûr, nous sommes d’accord sur le fait que rien n’a été « produit ». Mais l’intérêt d’une épargne conséquente (en dehors de celui de l’épargnant mesquin) est de permettre à un certain nombre d’individus sans argent de côté d’acheter à crédit. Or, qu’est-ce que le crédit ? Un recours économique me permettant de posséder aujourd’hui ce que je ne pourrais posséder autrement qu’après de longues années d’épargne. Le crédit accordé par les banques est donc le salut de la CONSOMMATION, notre maître à tous smiley. Sans l’argent du banquier, je mettrais peut-être un an avant d’acheter une télé, cinq ans avant d’acheter une voiture, trente ans avant d’acheter une maison (à moins d’avoir des amis fortunés, ce qui n’est pas mon cas). Ce qui veut dire que durant un an je ne regarderai pas la télé (pas bien compliqué), durant cinq ans je n’emprunterai que les transports en commun (possible aussi) et durant trente ans, je verserai un loyer pour pouvoir me loger (pas franchement reluisant, mais dans l’ordre du supportable également).

Admettons à présent que l’on interdise à l’opulent de faire de l’argent avec son argent : il retire ses économies de la banque. La banque, elle ne peut plus miser sur cette somme en transit dans ses murs, et sera contrainte de refuser tout crédit aux petites bourses. Est-ce inadmissible ? Dans ce cas il faudra que l’État se ruine en prenant le relai des banques, non ? À moins qu’il n’oblige les banques à prêter de l’argent qu’elles n’ont pas, c’est-à-die qu’il contraigne en définitive les gens qui ont de l’argent de côté à le prêter gracieusement à leurs congénères dans le besoin. Reste un autre expédient : interdire aux gens, tout simplement, de devenir riche, ou du moins ponctionner la majeure partie de leurs rentes pour que l’État puisse, effectivement, devenir une banque centrale à l’écoute de tous. Mais au finale, quel est le tort d’une banque ? D’être inutile ou d’être amorale ? Eh bien la morale détachée de la politique, tout comme l’économie laissée à elle-même, sont des conquêtes de l’ère moderne (suivant un axe Machiavel-Hobbes-Smith-Marx, un pour chaque siècle). J’ai bien dit « conquêtes », et j’ajoute que je le déplore.

2. La notion de bien commun :

Une notion fondamentale. Et je dirais que c’est ici que mon appréhension de la politique est au complet rebours de la vôtre. Je vous rassure, la majorité des gens pensent comme vous, je tiens simplement à dire que je n’ai pas forcément tort pour autant. Vous allez tout de suite comprendre le sens de cette remarque.
Nous vivons à une époque où le jugement de valeur n’a plus lieu d’être ; chacun a dorénavant SES valeurs (sommées de ne nuire à personne), la notion de même de « vérité » est abstruse pour chacun, quand elle n’est pas carrément suspecte dans la bouche de celui qui la poursuit. Le mot « goût » fait office de « valeur ». Seul le jugement de fait importe dorénavant ; les faits ont enterré les valeurs. S’il n’y a plus de jugements de valeur possible, tous les avis se valent. Partant de là, quel est l’avis qui sera en dernière instance réputé correct ? Celui qui aura fédéré le plus de monde autour de lui, ce quels que soient les moyens d’y parvenir. Ainsi, si demain vous voulez œuvrer pour bouter l’islam hors de France, il vous faudra recueillir une majorité d’avis allant dans le sens d’une incompatibilité catégorique entre les mœurs revendiquées par l’islam et les principes de la République. Vous ne pourrez pas vous appuyer sur de quelconques « valeurs » hexagonales, puisqu’on vous répondra que le terme clive et discrimine et qu’il est donc lui-même non avenu, mais vous tenterez coûte que coûte de… faire nombre. Car fait nombre, c’est un fait. Si vous y parvenez, vous aurez alors de grandes chances de parvenir à vos fins, que celles-ci soient morales ou non.

Le nombre n’est en soi ni bon, ni mauvais, c’est une masse inerte qui attend sa poussée, ou son coup de vent ; nous en faisons tous partie lorsque nous ne faisons rien pour nous déprendre du conformisme. Quand on fait du nombre la fin ultime de toute action politique, on devient utilitariste et… on risque accessoirement de léser les minorités. Or, c’est précisément sur le nombre, en tant que majorité de gens contentés, que vous fondez votre vision du bien commun. Personnellement, ce n’est pas comme ça que je l’entends. Le bien commun est un absolu à mes yeux, il n’est pas affaire de mode (pas assujetti au temps qui passe), ni d’avis d’un quorum d’individus. Le bien commun est intangible, quelles que soient les majorités considérées. Il peut très bien être défendu par une minorité face à la volonté d’une majorité.

De manière générale, et pour lier les points « 1 » et « 2 », je constate que vous reprochez au marché son pouvoir tentaculaire, et qu’en même temps vous déplorez que la démocratie actuelle ne donne pas encore assez de pouvoir au « nombre ». Or, quel est le ressort fondamental du marché ? Je veux dire, quel est le carburant du commerce omniprésent ? La consommation du plus grand nombre et le succès de produits qui fédèrent ce plus grand nombre. Autrement dit, le nombre est la nourriture du marché. Face à cela, Morpheus, que proposez-vous ? De donner plus de pouvoir au nombre. Je me trompe peut-être (c’est à souhaiter), mais si j’ai raison, PLUS vous tablerez sur le nombre, sur l’empire de l’égalité et l’autorité des majorités, PLUS vous alimenterez le tout-commercial et PLUS vous ferez de chacun un homo mercator. L’arme que vous préconisez pour abattre le marché, non seulement ne le tuera pas, mais le rendra plus fort. Voilà le plus grand drame, selon moi, de notre époque, plus grand de tous les temps car il est éminemment paradoxal et complexifie les choses au maximum. Vous voudriez tout le bon sans le mauvais ? J’ai bien peur qu’il ne vous faille faire quelques concessions.

3. Croire en l’Homme, l’élitisme et le besoin de chefs :

Je serai plus court à ce sujet. Prenons l’exemple de la course de vitesse en athlétisme. Instituons une course, le 100 mètres hommes. Le but est de voir des hommes courir le plus vite possible sur cette distance en ligne droite. Il se trouve que quelques hommes seulement sont parvenus, dans l’histoire, à parcourir cette distance. Aristote (encore lui désolé) dirait que relativement à cette activité humaine, la vertu de l’homme qui s’y inscrit pleinement est le fait de courir le plus rapidement possible. Mettons donc que les quelque 500 coureurs à être passés sous la barre des 10 secondes soient des gens vertueux de ce point de vue, et qu’Usain Bolt soit le plus vertueux d’entre tous. Un extra-terrestre débarque, et dans la conversation, vous allez lui dire : « l’homme est capable de courir une distance de 100 mètres en moins de 10 secondes ». Ce à quoi il vous répond tout de go : « Pas possible ! Vas-y montre-moi ! » Et vous : « Non, pas moi, mais certains hommes le peuvent ». En l’occurrence, Usain Bolt s’est saisi de l’étendard de l’humanité ; eu égard à la vitesse de déplacement pur, il flatte l’ego humain de chacun d’entre nous. Est-ce que vous, Morpheus, seriez capable de courir aussi vite que lui avec le même matériel et le même entraînement ? Est-ce qu’il n’y a rien de biologique là-dedans ? Je vous laisse seul juge. smiley

Eh bien c’est pareil avec n’importe quelle vertu. Quand je dis que je crois en l’Homme (avec un « H » majuscule), j’ajoute que ce n’est pas croire en tous les hommes. Tous les hommes ne sont pas capables de courir le 100 mètres en moins de 10 secondes, malgré tout l’entraînement et la bonne volonté du monde. Or, selon vous (si je ne m’abuse), croire en l’homme, c’est croire que TOUS les hommes en sont capables. Associons pour finir l’obtention d’une médaille olympique à la notion de pouvoir. Selon votre vision des choses, tout homme nanti d’un pouvoir finit par se corrompre à son contact. Transposé dans notre exemple, vous pourriez fort bien me dire : tous les coureurs les plus rapides, avides de gloires, se sont nécessairement dopés pour y parvenir. Peut-être auriez-vous raison, Morpheus. Peut-être que le sport, en général, n’est qu’une farce. Pour ma part, je maintiens que croire le contraire, c’est croire en l’homme, en l’Homme générique, pas en chacun. C’est élitiste, c’est vrai, et sans élitisme, pas de sport… et pas de politique. Mais lorsque l’élitisme est équitable, il n’est pas forcément odieux.

Et pour rebondir sur les propos de l’ami micnet, je ne sais pas s’il est indispensable de tabler sur l’existence d’un chef. Ce que je pense, c’est que nous avons tous besoin d’avoir des valeurs à l’esprit pour vivre ensemble, que certaines valeurs communes font fond sur le bien commun, et qu’il serait, je pense, préférable que de telles valeurs demeurent uniquement à l’état d’absolu partagé et éthéré. Mais la chair est faible et l’homme est ainsi fait qu’il est bien souvent plus à même d’être gouverné lorsque ces valeurs deviennent pour lui tangibles… et s’incarnent dans un homme(/femme) providentiel(/le). À condition, bien sûr, que cet homme ou cette femme soit réellement hors du commun ! Ce fut le cas de Napoléon et de De Gaulle notamment (bien que l’un est l’autre ait été, chacun dans son genre, motivé également par l’appel de la gloire).

Finalement, je n’ai pas fait plus court, désolé ! Mais votre article le vaut bien.  smiley

Bien à vous, et bonne soirée.
Éric Guéguen


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