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Nicolas Proix 24 octobre 2006 11:54

Indéniablement, oui, la Corée du Sud VEUT devenir leader dans les nouvelles technologies « L’objectif du gouvernement est de rejoindre le top 3 mondial d’ici à 2015 » : nous n’avons pas d’objectif aussi clairement affiché en France, sauf de manière locale dans quelques « pôles » de compétitivité.

Je voudrais revenir sur un point particulier de l’article : la question de l’urbanisme. En France, il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour s’apercevoir que nous misons tout sur la qualité de vie. Même par rapport aux Européens. Ce qui est à l’origine de notre manière de construire nos villes : périmètres de 500 mètres (ou plus) autour du moindre monument historique, refus des bâtiments de plus de 37 mètres de hauteur par 60 % de la population de Paris intra-muros, innombrables associations de sauvegarde de quartiers... ces dernières, d’ailleurs, non contentes de céder de manière éhontée au syndrome NIMBY (Not In My BackYard), se constituent parfois pour des causes qui frisent le ridicule. Individualisme forcené et quasi-hystérique parfois.

Le mouvement inverse se passe en Asie. Personnellement, je ne connais pas la Corée (et encore moins sa voisine du Nord, d’ailleurs), mais j’ai longement étudié l’urbanisme chinois. C’est assez étonnant. Pour parler franchement, c’est même proprement ahurissant.

La « préservation du patrimoine » ? Mais ils le préservent, ils le préservent ! Regardez, le bâtiment est intact, sauvegardé, protégé ! Certes, il y a un gratte-ciel de 220 mètres juste à côté, et une autoroute en construction à 50 mètres... et alors ? Différence de points de vues ? J’étais extrêmement hostile à une telle politique de sauvegarde AVANT d’aller en Chine, de voir, de discuter, et d’essayer de comprendre.

Tout d’abord, relativisons. Notre vision du patrimoine n’est pas celle que nous avons toujours eue. Jusqu’au milieu du XIX° siècle, on détruisait le patrimoine pour rebâtir autre chose plus dans le style de l’époque à la place. Qui a déjà vu le choeur baroque de la très gothique cathédrale de Chartres comprendra sans peine ce concept.

En plein XIX° siècle, grâce à ce grand homme de Viollet-le-Duc, nous avons sauvegardé « dans leur état d’origine » (!) les bâtiments du Haut-Moyen-Âge. En détruisant au passage tous les bâtiments du parvis de Notre-Dame-de-Paris, mais il fallait « mettre en valeur » l’église. En « restaurant » le château de Pierrefonds de manière délirante, mais il fallait céder au médiévalisme en vogue.

Les Extrêmes-Orientaux ne font sur ce sujet que nous copier. Certes, ils ont des moyens financiers et surtout techniques que n’avait certes pas le baron Haussmann, mais le principe est le même.

L’« harmonie architecturale » ? En France, nous haïssons les bâtiments hauts . . . même si c’est pour leur trouver une valeur esthétique 100 ans après leur construction (je parle bien entendu de la Tour Eiffel). Je ne vais pas chercher à discuter du bien-fondé ou non de la politique de construction de gratte-ciels. Mais simplement rappeler 2 faits :

- le modèle économique et urbain de l’Asie n’est pas (et ne sera sans doute jamais) Paris. S’il y a un modèle éventuel, ce serait plutôt Manhattan. Et encore, le centre de New York ne rend pas compte exactement de la densité extraordinaire et foisonnante de la jungle urbaine extrême-orientale. Le modèle urbain de toute l’Asie de l’Est, c’est Hong-Kong. En bref : la ville-champignon et non pas la ville-musée. Ne nous voilons pas la face, c’est ce que Paris est devenue.

- Pouvoir se passer de gratte-ciels, parce qu’on habite un pays à densité très modérée, c’est bien. Rappelons que, même en Europe, c’est une exception, et que les centres-villes de Francfort, Londres, Berlin, Varsovie, etc. sont construits très en hauteur. Les densités fabuleuses des côtes de la mer de Chine imposent l’immeuble haut dans un quartier dense. C’ets tout simplement mathématique. Rien qu’à Shanghai, dans un territoire 5 fois plus réduit que l’Île-de-France, vivent 18 millions d’habitants environ. Et les densités du centre-ville sont en proportion. A Hong-Kong, sur 1000 km², dont très peu sont constructibles (Parc Naturel National), vivent 6 millions de personnes. Quant à Tokyo...

Que les gratte-ciels de ces villes soient de piètre qualités architecturale, certes. Qu’ils soient construits sur des fonds souvent douteux, et même en guise de blanchiment d’argent sale, je l’admets. Mais pouvons-nous vraiment condamner en bloc cette forme d’urbanisme, sans être à la place des habitants de ces villes ? Je n’en suis pas totalement certain.

N’oublions pas que la culture d’Extrême-Orient (je parle en particulier de la culture chinoise) n’est pas TRADITIONNELLEMENT une culture de l’exhibition et de la mise en avant. Elle l’est devenue par mimétisme de l’Occident. Traditionnellement, l’urbanisme le plus pompeux est . . . le nôtre (avec un jeu de mots éventuel sur Le Nôtre). C’est nous qui avons inventé les jardins à la française, les avenues de Versaille et les Grands Boulevards.

Le jardin chinois, et, de manière générale, l’habitat chinois traditionnel, est, lui, caché. De hauts murs empêchent sa découverte depuis l’espace public. Il faut entrer et découvrir de l’intérieur ce (minuscule) trésor caché. Et, même alors, il est impossible de saisir en son entier la structure et le paysage de tout le jardin, ou de toute la demeure.

Dés lors, qu’importe l’environnement même immédiat du monument ? Ceux qui ont visité Suzhou et ses jardins peuvent comprendre : les plus grandes merveilles de cette ville sont cachées, et souvent dans les lieux les plus incongrus (près de centres commerciaux, d’usines, de périphériques).

Enfin, la culture d’Extrême-Orient, en matière d’architecture, est beaucoup plus basée sur le savoir-faire que la nôtre. Ce qui compte, ce n’est pas le monument, c’est la capacité à le refaire. J’ai ainsi entendu parler d’un temple japonais, détruit tous les 20 ans pour être rebâti.

Toutes ces longueurs juste pour faire un (très) rapide point sur nos différences en urbanisme. Cela n’explique pas tout, ni ne nous permet de comprendre la frénésie de construction qui a cours de la Corée à l’Indonésie. Mais il nous faut aussi accepter que notre conception urbanistique est très particulière et certainement pas la seule valable.

Nicolas Proix


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