D’abord deux simples remarques de « philologue » :
1) la phrase de Malraux n’évoque ni le « religieux » ni le « mystique » pour qualifier notre XXI° siècle, mais le « spirituel » (c’est à dire quelque chose qui doit ressembler aux « forces de l’Esprit » invoquées par François Mitterrand à l’approche de sa mort, à lui qu’on a parfois moqué en l’appelant « Dieu »...)
2) dans l’aphorisme 185 du « Gai Savoir », la fameuse « mort de Dieu » est bel et bien caractérisée par l’ « Insensé » comme meurtre, et donc déicide collectif dont il fait lui-même, et au nom de tous, le tragique aveu : « « Où est Dieu ? cria-t-il, je vais vous le dire ! Nous l’avons tué, nous tous, vous et moi ! Nous tous sommes ses meurtriers ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier ? Qu’avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil ? Vers où roule-t-elle à présent ? Vers quoi nous porte son mouvement ? Loin de tous les soleils ? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue ? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? »...
Cela posé, on doit pouvoir comprendre qu’un tel déicide n’élimine aucunement la foi (c’est à dire cette relation très particulière que l’homme -mâle ou femelle- entretient toujours avec cet Autre, ce Tu ou Toi totalement invisible et inconnu mais bel et bien réel, puisque tout être s’interrogeant lui-même sur lui-même en vue d’atteindre son être même et sa vérité intérieure, doit nécessairement établir un dialogue intérieur avec cet Autre transcendant, soit pour le nier et « s’en débarasser », comme disait Bakounine, soit pour l’affirmer en tant que Grand Autre et donc aimer en Lui sa loi d’« amour et de vérité » libératrice)... mais bien au contraire la renforce.
Car il en va ainsi déjà chez Freud (cf Totem et Tabou) quand c’est du meurtre du Père, soit du crime originel du Chef de la horde primitive accaparant toutes les femmes, que naissent et la culpabilité et la culture, c’est à dire un certain culte partagé de la Loi commune.
J’agrée donc volontiers à l’idée que le laïcisme soit une foi et une religion qui s’ignorent elles-mêmes, mais non sans préciser que nos trois valeurs républicaines et laïques sont elles-mêmes passablement d’essence religieuse. Cela se conçoit aisèment pour la Fraternité (qui n’est autre que le « aimez-vous les uns les autres » du Christ s’affirmant « Fils de Dieu » (faut oser...). Pour l’égalité et la liberté, cela se discuterait davantage car la première peut être due à un esclavage généralisé qui la corrompt absolument et la seconde être celle du loup dans la bergerie, ou du riche face au pauvre, ce qui ne la pervertit pas moins. Toutes choses qui d’ailleurs déplaisent à Dieu le Père autant qu’à Homme qui se veut libre juste fraternel et heureux de vivre