JACQUES SAPIR, UN HOMME DE GAUCHE ? 4 juillet 2015 Ornella Guyet L’économiste Jacques Sapir peut-il encore être considéré comme un homme de gauche ? Si lui-même l’affirmait encore en 20141, ses choix politiques de ces dernières années, qui l’ont vu se rapprocher de certains courants de la droite et de la droite radicale, permettent cependant de se poser légitimement la question.
Partisan du « non » au TCE en 2005, Jacques Sapir a soutenu la fondation du Front de gauche en 2008, avant de s’en détacher du fait du refus de Jean-Luc Mélenchon de discuter d’une éventuelle sortie de l’euro. Il s’est alors rapproché des réseaux chevénementistes, puis de Nicolas Dupont-Aignan, officiellement à partir de 2012 (bien que, nous le verrons, ses premiers contacts avec Dupont-Aignan aient été antérieurs).
le 28 juin 2012, Nicolas Dupont-Aignan présente « un plan de secours alternatif pour l’Europe », avec le soutien notamment de Philippe Murer, Jacques Sapir et jacques Nikonoff. le 28 juin 2012, Nicolas Dupont-Aignan présente « un plan de secours alternatif pour l’Europe », avec le soutien notamment de Philippe Murer, Jacques Sapir et Jacques Nikonoff. (Source : Marianne) En 2014, il a pris part au congrès de Debout la République et d’après le journal Le Parisien, Dupont-Aignan verrait bien l’économiste devenir son ministre des finances s’il accédait au pouvoir. Sapir participait aussi il y a quelques jours à un colloque du groupe parlementaire européen EFDD, qui est présidé par Nigel Farage. Il ne fait cependant nul doute qu’il reste perçu comme un allié par toute une partie de la gauche militante, et notamment de celle qui est sensible aux sirènes du souverainisme.
Au colloque de l’EFDD, de gauche à droite : Jacques Sapir, Nigel Farage, Antonio Rinaldi (économiste italien), Marco Zanni (eurodéputé). (Source : @Rinaldi_euro) Au colloque de l’EFDD, de gauche à droite : Jacques Sapir, Nigel Farage, Antonio Rinaldi (économiste italien), Marco Zanni (eurodéputé). (Source : @Rinaldi_euro) Très en vue dans le débat actuel autour de la crise grecque, ce chantre de la « démondialisation » – dont les théories ont inspiré les discours d’Arnaud Montebourg sur la question – est aussi un spécialiste de la Russie, connu pour sa complaisance à l’égard du régime de Vladimir Poutine, pourtant réputé pour son arrivisme, son homophobie et ses alliances avec l’extrême droite européenne. Son site Russeurope, légitimé par son cadre universitaire2, est l’un des sites de référence sur la question. Jacques Sapir fréquente aussi les salons de l’ambassade de Russie, de même que les colloques de l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, think tank basé à Paris et visant à promouvoir l’image de la Russie de Poutine en Europe. Sans surprise, on retrouve son nom dans plusieurs médias pro-Kremlin, de La Voix de la Russie3 à Sputnik News4.
Sapir et Coûteaux sont dans un bateau…
S’agissant de ses liens avec la droite souverainiste française, y compris la plus radicale, ils sont en réalité un secret de polichinelle. Dès le 6 janvier 2011, Jacques Sapir a par exemple participé à un colloque organisé à l’Assemblée nationale par Les Cahiers de l’Indépendance, une revue animée par Paul-Marie Coûteaux, lors duquel se sont retrouvés le ban et l’arrière-ban du souverainisme le plus réactionnaire et même, disons-le, de nombreuses personnalités d’extrême droite : Eric Zemmour, Paul-Marie Coûteaux, Nicolas Dupont-Aignan, Renaud Camus, Marie-France Garaud, Roland Hureaux, Jean Robin, Jean-Pierre Gérard, Alain Paucard, Philippe Laurier, Philippe Cohen, Pierre Lévy, John Laughland, Nicolas Stoquer et Hervé Coutau-Bégarie5.
Dupont-Aignan a qualifié l’exposé de Sapir ce jour-là de « brillantissime » et a tenu à souligner « à quel point Jacques Sapir, depuis des années, écrit sur cette question de l’euro et l’apport qu’il a (sic) pour nous est essentiel. » En septembre de la même année, Sapir répondait à une invitation de Coûteaux sur Radio Courtoisie. Il a fait un second passage sur la radio d’extrême droite en 20146. On retrouve aussi sans surprise sa signature dans Les Cahiers de l’Indépendance, dont la liste des contributeurs est à l’avenant7. En 2012, c’est la revue Eurasia Rivista du négationniste italien Claudio Mutti qui l’accueillait8, tandis que le 19 avril 2014, il a repris sur son blog une théorie du complot véhiculée deux jours avant par Thierry Meyssan. Sapir a beau jeu ensuite de se plaindre que les médias français et certains hommes politiques puissent assimiler indifféremment tous les partisans d’une sortie de l’euro à l’extrême droite9 : quelle image en donne-t-il, lui qui en est l’un des plus en vue, quand il participe à des colloques aux côtés de Paul-Marie Coûteaux ou de Renaud Camus ou quand il accepte des invitations de Radio Courtoisie ?
En juin 2014, plusieurs médias ont évoqué une rencontre entre Jacques Sapir et Marine Le Pen organisée par Coûteaux, fait qu’il n’a ni confirmé ni nié, se contentant de bloguer : « Je rencontre qui je veux en privé »10. Ce qui est sûr, c’est que l’un de ses proches, Philippe Murer, est passé à peu près au même moment dans le camp frontiste, devenant l’un des principaux conseillers de la présidente du FN en matière économique. Quelques mois auparavant, en février, le ministre de l’économie d’alors, Pierre Moscovici, avait créé la polémique sur le plateau de l’émission Mots Croisés en déclarant que Jacques Sapir était selon lui un « économiste d’extrême droite », après que Marine Le Pen l’ait cité comme une de ses références intellectuelles11. Une déclaration au parfum de scandale pour une partie de la gauche radicale, qui s’est alors sentie obligée d’apporter son soutien à l’économiste.
Un idéologue réactionnaire
Pourtant, si Sapir n’est en effet sans doute pas (encore) classable à l’extrême droite, son appartenance au champ de la droite conservatrice et réactionnaire ne laisse aucune place au doute. Son rapprochement assumé avec la droite souverainiste française et européenne représentée par Nicolas Dupont-Aignan ou Nigel Farage en est la preuve12. Est-il dès lors vraiment du rôle des militants de gauche de prendre sa défense, même face à un ministre socialiste honni, ou d’en faire la promotion, même quand il défend la Grèce contre ses créanciers ? On ne le répétera jamais assez : les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis.
Du reste, il arrive à Sapir de prendre des positions tout à fait réactionnaires, que la droite la plus radicale ne renierait pas, comme par exemple le 1er mai dernier, lorsqu’il a retweeté des propos de l’avocat Philippe Bilger niant l’appartenance des assassins de Brahim Bouarram (et non pas « Bouram ») à l’extrême droite :
11696508_10207305048971286_1085088233_nCette orientation réactionnaire se voit d’ailleurs dans son analyse du vote FN. Sapir a en effet pleinement intégré dans ses analyses, bien qu’il ne l’utilise pas explicitement, le concept d’ »insécurité culturelle » développé par des intellectuels comme Christophe Guilluy et Laurent Bouvet. Ainsi il explique, s’agissant du vote pour le parti frontiste13 :
« Enfin, il y a un vote d’adhésion aux thèmes développés depuis maintenant un peu plus de trois ans par le Front National. Dans ces thèmes, il ne faut pas sous-estimer (ni sur-estimer d’ailleurs) un sentiment si ce n’est de xénophobie mais en tous les cas de lassitude face à l’immigration telle qu’elle se développe aujourd’hui. Pour de nombreux français aux revenus très modestes, les nouveaux arrivants sont en concurrence directe avec eux sur de nombreux points (comme l’obtention de logements ou la santé). Je remarque d’ailleurs que de nombreux français issus de l’immigration des années 1960 à 1980 ont voté Front National. »
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