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loulou18 (---.---.1.10) 10 juillet 2016 00:18

Les Russes ont aujourd’hui le sentiment d’appartenir à une nation plus pauvre que l’Union soviétique de 1990 », révélait en juin un sondage (lien en russe) de l’institut officiel Vtsiom.

Révolu, le temps des nouveaux riches : fini la consommation à outrance. Ou même raisonnée. La part de la classe moyenne – les gens qui peuvent se permettre d’acheter des meubles ou une voiture – est passée de 27 à 16%, tandis que celle des riches augmente légèrement (de 3 à 4% de la population).

Surendettés et harcelés La récession a pris de court de très nombreux Russes qui avaient accumulé des crédits, extrêmement faciles à obtenir pendant les fastes années 2000 : 17,8% des crédits à la consommation sont en situation de retard de paiement. Un Russe sur dix présente un arriéré de crédit supérieur à 90 jours, telle cette jeune médecin « prête à vendre un rein pour trouver de l’argent ». Après 90 jours, la banque est en droit d’exiger l’argent ou l’appartement hypothéqué. Une loi récente, entrée en vigueur fin 2015, permet dans certains cas de se déclarer en faillite personnelle devant un tribunal qui supervisera la renégociation de la dette. Cette mesure pourrait concerner 500.000 personnes, selon la banque centrale.

Le 5 mars 2016, lors d'une manifestation de Russes surendettés à Moscou. Sur les pancartes : « Nous allons perdre notre logement », « On a fait confiance à la banque, on va devenir SDF ».

Le 5 mars 2016, lors d’une manifestation de Russes surendettés à Moscou. Sur les pancartes : « Nous allons perdre notre logement », « On a fait confiance à la banque, on va devenir SDF ». © Valeriy Melnikov / RIA Novosti / AFP

Il n’est pas rare que les surendettés doivent en plus faire face aux méthodes musclées des « collecteurs », ces agents envoyés par les banques pour recouvrer les dettes. Natalia, 69 ans, incapable de rembourser ses traites avec sa pension de 150 euros et la rente d’invalidité de 70 euros de son fils, recevait jusqu’à vingt coups de téléphone de menaces par jour – même la nuit : « On va venir chez vous voir si vous avez des dents en or », « si vous ne mourez pas de vous-même, on vous aidera »... La presse rapporte de nombreux cas de passages à tabac, insultes affichées sur le palier, menaces de s’en prendre aux enfants...

Combien de « BOMJi », SDF russes ? Les expulsions à la suite de crédits impayés jettent à la rue de nombreux Russes. Certains iront sans doute grossir le nombre de sans domicile fixe, « BOMJ » en russe, dans la Fédération. Un nombre estimé, en l’absence de statistiques officielles, entre trois et quatre millions. Moscou en compterait environ 60.000. La municipalité a ouvert deux centres d’adaptation pour SDF, Lioublino et Philimonki, qui offrent soutien psychologique, aide administrative ou consultations juridiques. La bannière de la chaîne YouTube du « SDF-blogueur » Evguéni (Génia) Yakout annonce « de nouveaux contenus une fois par semaine ». La bannière de la chaîne YouTube du « SDF-blogueur » Evguéni (Génia) Yakout annonce « de nouveaux contenus une fois par semaine ». © YouTube / capture d’écran

Récemment, il y a eu ce fait divers sordide, un jeune couple qui a éliminé sept SDF moscovites « pour nettoyer la ville ». A Moscou toujours, l’histoire plus réjouissante d’Evgueni Yakout, SDF qui s’est fait un nom – et quelques revenus – en créant sa chaîne YouTube (en russe), où il raconte son quotidien et ses « bons plans » de survie dans la rue. Chaque vidéo renvoie les internautes vers son portefeuille en ligne Yandex (le principal moteur de recherche russe), qui récolte les fonds nécessaires au « développement de son projet ».

L’Eglise orthodoxe à la rescousse Face à ce « boom » de la pauvreté, l’Eglise orthodoxe s’avère souvent le recours principal. Organisés en communautés, ses bénévoles distribuent des vêtements et repas chauds, dans les églises ou au coin des rues. En janvier 2014, un lieu chauffé installé pour les sans-abris dans la cour du Département synodal de bienfaisance et de service social de la rue Nikoloïamski à Moscou, en présence de l'évêque Panteleimon d'Orekhovo-Zuïevksi.

En janvier 2014, un lieu chauffé installé pour les sans-abris dans la cour du Département synodal de bienfaisance et de service social de la rue Nikoloïamski à Moscou, en présence de l’évêque Panteleimon d’Orekhovo-Zuïevksi. © Iliya Pitalev / RIA Novosti / AFP

Les retraités de plus en plus fragilisés Déjà à l’époque soviétique, les retraités cumulaient plusieurs petits emplois pour compléter leur pension insuffisante (11.000 roubles en moyenne, soit quelque 133 euros au cours actuel). Beaucoup jonglent entre cette maigre pension et le mont-de-piété. Leur petit budget est souvent lourdement grevé par des dépenses de santé ; or les médicaments devraient augmenter de 20% en 2016. Aussi voit-on souvent des gens âgés faire le tour des pharmacies à la recherche du prix le plus bas. Heureusement, l’idée de geler les pensions de retraite, en suspens depuis des années, n’a pas été retenue par le plan anticrise annoncé en janvier. Le 22 décembre 2015, dans le village d'Oulianovsk (au sud-est de Stavropol, Caucase du Nord). Le 22 décembre 2015, dans le village d’Oulianovsk (au sud-est de Stavropol, Caucase du Nord). © Reuters / Eduard Korniyenko

L’Etat se défausse sur les régions Que fait l’Etat ? Pas grand-chose, si l’on en croit le Parti communiste (lien en russe) : « La pauvreté et le chômage augmentent en Russie, et le gouvernement fait comme si tout allait bien. » Au forum économique Gaïdar, du 13 au 15 janvier, les ministres des Finances et du Développement économique ont même annoncé des coupes budgétaires. Le Premier ministre Dmitri Medvedev souhaite faire évoluer l’aide sociale vers un système plus « ciblé ». Une façon de faire des économies sur le dos de la population, dénoncent certains économistes.

Pour l’économiste Lioudmila Rianytsina, l’Etat s’est défaussé en transférant (en 2005) la charge de l’aide sociale vers les régions. La plupart n’ont pas les moyens de l’assumer. « Les pouvoirs régionaux ont contracté des dettes considérables auprès du pouvoir fédéral et sont contraints de réduire leurs programmes d’aide. » Plusieurs économistes avaient alerté début 2015 sur un risque de défaut de paiement pour certaines régions – celle de Novgorod a été la première, en juin 2015. L’inégalité de niveau de vie entre Moscou, qui concentre 10% de la population russe, et les régions du Caucase, de la Volga et de l’Extrême-Orient équivaut à celle qui existe entre les pays les plus riches et les plus pauvres du monde, rappelle un article du Temps.

Solidarité intergénérationnelle, système D et initiatives citoyennes Face à cette inertie du gouvernement, et habitués aux privations et au système D, les Russes font jouer la solidarité entre les générations. Les grands-parents qui le peuvent cultivent un potager et aident leurs enfants en leur donnant des légumes. D’autres formes de solidarité se mettent en place, comme le restaurant gratuit ouvert par Alexandre Bogatchev, un cordonnier de la région de Kostroma, à 350 km au nord de Moscou (vidéo). Aucune subvention de l’Etat, mais grâce à la contribution de plusieurs hommes d’affaires de la région, il sert quatre fois plus de repas aujourd’hui qu’en 2012.

« La Russie face à la crise », explications et reportage de Dominique Derda, correspondant de France Télévisions à Moscou, avec Patrice Acheré, Tania Tarassenkova et Volodia Sidorov.

Quelles conséquences pour Vladimir Poutine ? Pour le vice-directeur de l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales, cité par le Temps, « il est possible que la crise provoque des mouvements sociaux et des troubles, mais uniquement localement. Pas à l’échelle du pays. » « Il est clair que la crise s’aggrave, poursuit Evgeni Gontmakher. Mais la propagande fonctionne. Les gens sont satisfaits de l’annexion de la Crimée et du retour en force de la Russie dans l’arène internationale. Ces gains fonctionnent comme une compensation aux difficultés matérielles. »

Le nombre de mécontents augmente, mais personne n’entrevoit de solutions alternatives, souligne une analyse du centre Levada (lien en russe). La cote de Poutine a un juste peu baissé : 82% contre 89 après l’intervention en Syrie. Le défi est en tout cas majeur pour un président qui a construit sa popularité sur l’amélioration du niveau de vie, fait remarquer le Temps. Selon Poutine lui-même, avoir divisé par trois le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (42 millions en 2000) est sa principale réussite. Un portrait de Vladimir Poutine accompagné des mots « Hausse des prix et de la misère, voilà pour quoi vous avez voté ! » porté par des militants du Parti communiste russe pour le 1er Mai 2012 à Saint-Pétersbourg. Un portrait de Vladimir Poutine accompagné des mots « Hausse des prix et de la misère, voilà pour quoi vous avez voté ! » porté par des militants du Parti communiste russe pour le 1er Mai 2012 à Saint-Pétersbourg. © Olga Maltseva / AFP

Cette paupérisation s’accompagne d’un bond du taux de mortalité : + 3,7% entre janvier et avril 2015, selon les chiffres officiels – alors que la Russie venait d’enregistrer avec soulagement un boom des naissances inattendu. Quelles que soient les conséquences pour l’actuel président, le pays « a survécu à des périodes bien pires », a souligné Mikhaïl Gorbatchev. A la veille de ses 85 ans, le dernier président de l’URSS a appelé à « ne pas prédire de faillite ni de catastrophe ». « 


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