La nostalgie, ah, mon bon mossieur, à l’époque on savait ce qu’était un bit, un octet, ASCII, EBCDIC, ... Un écran de tv et un clavier ? Ouais, on avait vu cela à la télé ou dans les films de science fiction.
Il fallait bosser avec du papier, un crayon et une gomme. Une feuille de saisie quadrillée servait de guide à notre immense imagination(*). Voilà donc qu’il fallait envoyer cela à la saisie sur des « trouilloteuses » de compétition, des esclaves de la saisie passaient leur journées à transformer nos créations en bacs de cartes perforées avec
des machines extraordinaires. Il fallait surtout numéroter les cartes, la moindre maladresse transformait cette étape en supplice consistant à les trier à la main ...
Après avoir récupéré le paquet, quelques heures plus tard , il fallait donc ajouter le
JCL, codé et trouilloté de la même manière, la machine allait suivre à la lettre nos ordres et avaler notre paquet de cartes pour lui faire subir une première lessive. La compilation. Quelques temps après, un opérateur goguenard trônant à un guichet style accueil de supermarché nous restituait notre oeuvre :
un listing où la réalité nous frappait en pleine poire, notre génie du codage informatique se transformait en piteuses lignes imprimées agrémentées de messages d’erreurs. Le sarcasme de ce moqueur était proportionnel, strictement, au nombre d’erreurs que nous avions réussi à réaliser. Terminant toujours par un « Et ben, cette fois, tu as réussi, tu as battu ton record ».
On partait le nez dans notre listing, vous savez ces grandes feuilles blanches et larges et surtout trouillotées sur le coté. C’était une manie de l’informatique de l’époque, on trouillotait tout, les cartes, les bandes un peu avant, les listing. Pour se singulariser, les trous n’était jamais les mêmes, ronds sur les listings et les bandes, rectangulaires sur les cartes. Nous étions les spécialistes du trou. Le trou : 0 si pas trou, 1 si trou, le trou donc est à l’informatique ce que la roue est au transport routier. La comparaison est nulle je vous l’accorde.
Pour le séchage de la lessive, le dilemme était pregnant, soit on répétait l’opération de correction avec nos trouilloteuses professionnelles et on récupérait de belles cartes après une longue attente, soit on devenait un champion de la
trouilloteuse manuelle. On insérait une à une des cartes pour corriger nos grosses mais géniales erreurs dans une machine rustique, avec ses 14 touches. Il fallait réaliser un exploit pour gagner le temps de saisie des professionnelles. Inconvénient majeur, pas d’impression en haut de carte ... mais bon
on savait que 12 1 était un A, ... Bien sur ne pas oublier de mettre les numéros de lignes, ... Avantage tout de même, cela renforçait sacrément l’agilité pour jongler entre ces codes en appuyant virilement sur des touches ... assez récalcitrantes. J’ai connu un loulou qui faisait le job pour les filles qui ne voulaient pas abimer leur vernis. Je n’ai jamais su ce qu’il gagnait en retour ...
Notre géniale intervention de lessive et séchage était répétée des ... dizaines de fois pour arriver à sortir un listing exempt d’erreurs. Nous avions contribué pour une grande part au déboisement de l’Amazone. Ensuite, il fallait passer à l’exécution du machin, là je vous dis pas, fiche d’exploitation pour les opérateurs, jeux d’essais, ... enfin un vrai calvaire. Et toujours devoir affronter l’opérateur moqueur : si vous savez ce qu’est la haine ... Il parait que certains sont arrivés au bout ... J’en ai connu qui sont parti en dépression, d’autres qui faisaient des concours de trouilloteuses manuelles pendant les longs temps d’attente. Sans vouloir me flatter, je n’étais pas dans les plus mauvais, mais ma modestie m’oblige.
Nous étions tous que des laborieux. Des génies, des artistes ? Surement des génies méconnus ou des artistes maudits du code informatique. Il parait même que dans de grandes banques, assurances, administrations et autres grosses sociétés, le coeur de leur informatique centrale utilise toujours quelques morceaux de nos géniales créations. J’avoue que nous n’avions aucune prétention à devenir d’illustres créateurs, on se marrait bien d’ailleurs et ... on s’en foutait un peu, mais on essayait assez bêtement de construire un code solide, lisible, facile à lire, à la portée du premier stagiaire venu,... enfin un peu des artisans sans aucune autre ambition que de se faire plaisir à réaliser du bon travail. Passer à la postérité que confère l’oeuvre de l’artiste ? Nous n’étions pas cet engeance ...
(*) Imagination ? Euh, bon légèrement cadrée par un dossier de dizaines de pages absconses qu’il fallait mettre en code.