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Gernelle - La marche national-islamiste d’Erdogan
ÉDITO. Le sultan d’Ankara s’offre, au Haut-Karabakh, un succès expansionniste sur le dos des chrétiens. Dans le silence assourdissant de l’Occident.
PAR Étienne Gernelle
Publié le 19/11/2020 à 07:00 | Le Point
Il est déchirant, le spectacle de la déroute : des colonnes de réfugiés, des maisons incendiées pour ne pas les laisser à l’adversaire, les adieux à un monastère qu’ils ne reverront plus… Les Arméniens ont perdu la nouvelle guerre du Haut-Karabakh et ont dû concéder des territoires. Des milliers d’entre eux s’enfuient. Non sans raisons. Car les vainqueurs, eux, affichent une joie qui suinte la haine. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a prononcé cette phrase qu’il ne s’agit pas d’oublier : « J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens et nous l’avons fait. »
Le président turc a envoyé des armes à Bakou et a même organisé le transfert de mercenaires issus des rangs de ses supplétifs djihadistes de Syrie. Le sultan d’Ankara s’est donc offert un succès expansionniste par procuration, donnant du corps à la formule « une nation, deux États », qu’il emploie à propos de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Mais ce n’est pas tout. Car c’est aussi l’Arménie chrétienne qui a été vaincue… Erdogan le revendique, d’ailleurs : « Le Haut-Karabakh redevient un pays de l’islam et reprend sa place sereine à l’ombre du croissant », a-t-il déclaré. Glaçant. Le gouvernement de Bakou – qui n’est pas fondamentaliste, loin s’en faut – a certes promis de respecter les lieux de culte arméniens, mais l’exode des chrétiens ne peut que galvaniser l’internationale islamiste. Ce message-là n’a pas besoin d’être porté par l’Azerbaïdjan ; le sponsor turc, qui est par ailleurs le parrain des Frères musulmans, s’en charge. Après la transformation récente de la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul en mosquée, le « reis » soigne un peu plus son aura de conquérant sur le dos des chrétiens. Le national-islamisme d’Erdogan a donc remporté une nouvelle victoire.
Menace d’éradication. Bien entendu, on entend toujours des arguments pour « localiser » le conflit, et – en conséquence – se résigner un peu plus sereinement à son résultat. Les voici : le Haut-Karabakh appartient à l’Azerbaïdjan du point de vue du droit international et, si l’on remettait en question les frontières en raison des minorités, on n’en sortirait pas. Surtout dans le Caucase. On dit aussi que l’Arménie, victorieuse en 1994, avait au passage pris le contrôle de sept districts azéris, et que ce conflit-là avait fait des centaines de milliers de réfugiés dans les deux camps, mais majoritairement du côté des perdants.
Tout cela est vrai, sauf que l’on ne peut, à moins d’être atteint de cécité délirante, renvoyer les adversaires dos à dos lorsque l’un d’entre eux – doté qui plus est d’une population bien moins nombreuse – est depuis longtemps menacé d’éradication. La formule d’Ilham Aliev sur les « chiens » ne fait que justifier a posteriori la révolte, dans les dernières années de l’Union soviétique, des Arméniens d’Azerbaïdjan contre la volonté de Bakou d’« azérifier » le pays. Le Haut-Karabakh avait alors tenté de s’unir à Erevan. En réponse, des appels à la déportation des Arméniens avaient été lancés en Azerbaïdjan, suivis de pogroms à Soumgaït et à Bakou en 1988 et 1990…
Les Kurdes de Syrie. Tout cela, rappelons-le, à l’encontre d’un peuple qui avait déjà subi au XXe siècle un génocide que nient, encore aujourd’hui, la Turquie comme l’Azerbaïdjan. Ce crime avait d’ailleurs connu un prolongement en septembre 1918 avec le massacre commis lors de la prise de Bakou par l’Armée islamique du Caucase, créée par Enver Pacha, l’un des principaux responsables du génocide arménien et grand promoteur du panturquisme. Simple conflit local, vraiment ?
On ne peut par ailleurs regarder la tragédie du Haut-Karabakh sans penser à l’épuration ethnique pratiquée il y a deux ans par la Turquie à l’encontre des Kurdes de Syrie (avec l’aide de djihadistes, déjà). Et, plus généralement, il est difficile de détacher tout cela de l’expansionnisme hyperactif d’Erdogan, que ce soit sous la forme d’entrisme en Méditerranée – notamment par l’intermédiaire des Frères musulmans –, de forages pétroliers au large de Chypre sous escorte militaire ou encore de diatribes contre Charlie Hebdo… Dimanche, le maître d’Ankara s’est prononcé pour la création d’un État sur la partie de Chypre occupée – illégalement – par la Turquie depuis 1974. Pourquoi se gênerait-il ? Il vient de gagner une bataille, et l’Occident se fait tout petit.
« Un fanatique est quelqu’un qui ne peut pas changer d’avis et ne veut pas changer de sujet », disait Churchill. Le problème avec Erdogan est qu’il a plusieurs « sujets » obsessionnels : les Arméniens, les Kurdes, la Grèce, l’Occident et la chrétienté du côté des haines ; le nationalisme panturc et l’islamisme du côté des passions. Qui l’arrêtera ?
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