• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


armand armand 17 mai 2007 10:56

Il faut se garder de conclusions hâtives en ce qui concerne la situation politique en Turquie. L’AKP a effectivement jugulé l’inflation et semble moins taraudé par la corruption que les autres partis politiques ; de plus, il ratisse très large. Il a offert un moyen de représentation non seulement aux ruraux conservateurs mais aussi aux classes commerciales montantes, souvent traditionalistes et enracinées dans la province (la famille d’Abdullah Gül et de sa femme vient de Kayseri).Le plus souvent, leur Islam n’a rien de sectaire ni de violent, mais, comme souvent dans les pays musulmans, il repose sur un attachement à des signes extérieurs de moralité comme la lutte contre l’alcool, le foulard islamique, la volonté de sévir contre le ’vice’ (comme lorsque M. Erdogan a maladroitement lancé un projet de pénalisation de l’adultère). Ce qui n’empêche pas M. Gül, dont l’épouse (mariée à 15 ans, elle a poursuivi néanmoins un cursus universitaire des plus honorables !)est l’une des ’femmes à turban’ de l’AKP, d’offrir de l’alcool à des journalistes chez lui. De même, les dirigeants de l’AKP ont gardé de l’Islam une vision universaliste, permettant d’aborder plus sereinement le problème des minorités.Ils sont parfois moins arc-boutés sur le nationalisme à fleur de peau que leurs adversaires laïcs (on a beaucoup glosé sur la différence entre le futur-ancien président, qui n’a jamais voyagé hors de la Turquie, et le candidat de l’AKP, polyglotte, diplômé, connu et apprécié de la plupart des dirigeants mondiaux).

Leurs adversaires pêchent parfois par le sectarisme social et culturel - on a entendu des manifestants issus des classes occidentalisées des grandes villes exprimer leur mépris pour ces péquenots qui auraient l’outrecuidance de vouloir gouverner.

Une des complexités de la situation réside dans le rapport schizoïde que la Turquie entretient avec son passé. Les partis laïcs ont affimé que l’AKP voulait ramener l’époque ottomane avec Gül comme Padichah (sultan). Beaucoup de partisans de l’AKP, loin d’être des extrémistes ou des nostalgiques, trouvent simplement qu’on a trop privilégié les techniques, les arts, les penseurs occidentaux au détriment des traditions dans ce qu’elles ont de positif. Là aussi, le clivage est souvent régional : se réclamer de tel ou tel penseur soufi passe très bien à Kayseri, alors qu’à Izmir ce serait vu comme ringard ou obscurantiste. Or il est indéniable que la Turquie doit pouvoir concilier le modernisme kémaliste, qui a empêché le pays de sombrer corps et biens en 1920 et qui a forgé tant d’institutions (Etat, Armée, Education) qui en font un pays largement au niveau européen, avec son passé ottoman. Ce passé ottoman, notons bien, dont tous les pays environnants lui savent gré, et qui fait de la Turquie le meilleur intermédiaire entre l’Iran et l’Occident, entre Israël et les pays arabes, entre pays arabes eux-mêmes.

Pour finir, un certain pragmatisme turc permet d’espérer un dénouement en douceur. Les journaux turcs ont été nombreux à relever les imperfections du système électoral : le seuil élevé de votes qu’il faut à un parti politique pour obtenir des sièges au Parlement fait que l’AKP, nanti d’une majorité écrasante, ne représente en fait qu’une fraction de la population (tout comme son adversaire principal, le CHP). Et le Président, à qui l’on reconnaît tout de même un pouvoir essentiel, celui de bloquer les nominations dans l’Armée, la Justice, l’Education, est élu par le seul Parlement.

Une réforme électorale, dont l’élection du Président au suffrage universel, pourrait conférer aux vainqueurs éventuels une légitimité indiscutable. Reste que le conflit entre laïcs et religieux ne s’évanouira pas, et on peut espérer que chaque camp, mesurant la force de l’autre, y vera simplement un débat démocratique dans ce qu’il a de plus fructueux. On peut déjà trouver positif que l’Armée, sans abandonner son rôle de gardien de la laïcité, a été plus discrète que d’habitude, que MM Erdogan et Gül ont montré eux aussi un certain pragmatisme.

A toutes fins utiles, je précise que ma démonstration n’est pas un plaidoyer pro-AKP - les grandes manifestations laïques ont été un rappel à l’ordre utile - mais que la caricature étant facile, cette mise au point s’imposait.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès