• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


GRL GRL 3 décembre 2007 12:22

Se lever tôt ...

Lorsque j’ai quitté la cité , le ras le bol étant passé au dessus du reste , je suis parti le premier matin en me disant : « N’importe quel boulot , n’importe quoi , mais je sors de là » ....

Rien n’indiquait sur moi ( comprendre , du faciès à l’aspect général , fringues et autres ) que je venais de la cité . Et pour cause , je n’y suis pas né , je n’y ai atterri que par un concours de circonstances ... mais j’y ai passé plus de 4 ans durant lesquels , j’ai vraiment plongé dans l’ambiance et la vie des autres ... citadins .

Et bien tout de même , il m’aura fallu trois ans en suivant , pour me faire respecter dans mon propre boulot . Trois ans avec une espèce d’empreinte qui devait être palpable par les autres , trois ans où je me suis confronté à la méfiance des autres , au jugement à l’emporte pièces , et où mon salaire s’est trouvé bloqué alors que tous mes collègues prenaient un peu chaque année ... bref ... j’ai senti le poids des regards et des mots ... Ce qui nous différenciait les autres employés et moi ? La peur . Ils était pétris de fantasmes et de peurs à propos de l’image des quartiers , de s fréquentations que j’aurais pu y avoir , des habitudes que j’aurai pu prendre , et le quota « honnêteté » était à mon encontre négatif , dès mon embauche.

Mais voilà , la cité j’en suis parti et c’était finalement assez simple . Par contre , j’y ai laissé nombre d’amis qui y sont toujours et que je connais jusqu’au fond d’eux même. Et eux n’ont pas eu la force de quitter tout çà ... « Comme un aimant » , était le titre d’un film sorti à l’époque , et je constate aujourd’hui la force de cet aimant , tout en envisageant les composantes de cette force qui retient le « citadin » dans sa cité , mais aussi et surtout , les forces de répulsions de l’autre aimant , celui qui fait des gens des cités et des banlieues , des parias ...

Pétris de fantasmes et de peurs , j’écrivais ceci tout à l’heure , et alors je le transpose aujourd’hui à pas mal de mes amis restés là bas. Si les gens avaient déjà peur de « moi » , j’imagine aujourd’hui quelle panique les envahirait si un de ceux dont je parle , qui comptent une vie entière dans les quartiers avait été à ma place ... Alors ?

Et bien , ne serait ce qu’un peu teinté par la vie au quartier , j’ai été mis au ban de mon entreprise trois ans durant , cela veut dire , écarté de toute participation , progression , et surtout considération ... moquette , politesse et indifférence ...

Et les autres , les natifs , ceux qui ont laissé la moitié de leur mental dans ces quartiers ou le mental se perd , où l’on ne ressort pas « indemne » dès lors qu’on rentre dans le mal de vivre des autres , faisant en tres peu de temps , soi même émule ... ces autres là , ceux que l’on a toujours vu là , eux ne seraient même pas embauchés , mais si , si toutefois ils l’étaient , pensez vous qu’ils seraient considérés comme les autres employés ? Que l’entreprise les impliquerait avec bonheur dans les missions qu’elle propose ? que les autres employés , et c’est là le plus important , les incluraient dans les groups de collègues , avec un capital sympathie ?

Si ça n’a pas été le cas pour moi et j’ai expliqué , comment puis je imaginer que ça puisse marcher pour eux ? Non , même embauchés , l’entreprise , la communauté est justement capable de créer sa propre « banlieue interne » , de mettre au ban , d’isoler , et d’empêcher toute progression .

Pétris de fantasmes et de peurs ... lorsque le faciès le « permet » , cela se transformera en racisme , ( les raisons de la peur ) , mais même si ce n’est pas le cas , les banlieues sont synonymes d’un tas de choses à éviter , ....

.... éviter .

Alors voilà , seuls les messages visant à apaiser cette France de travailleurs fragiles, les messages qui pourraient leur donner envie de faire leur vie avec nous, pourraient créer cet effet si indispensable, nous rapprocher, et faire en sorte que l’on se dise , au fond d’un studio de banlieue , un cagibi noir et pourri : " Il y a de l’espoir , mon pays , ma société m’attend et je me lèverai, demain, tôt, pour rejoindre mes compatriotes , car comme le dit le gouvernement , ils m’attendent , nous sommes dans le même bateau , etc ...

Mais cela est impossible car cela n’est pas voulu , même si le président le demande , n’est pas voulu par le reste de la France , tout le reste de la France.

Alors excusez moi , mais toutes mes excuses, ce soir , je dégaine un splif , un gros , et je vais refaire le monde avec mes potes , parler de l’histoire des peuples et écouter la vie transfontalière et chaotique de chacun , et ce jusqu’à pas d’heure dans la nuit , juste pour refaire tout çà ce soir , pour légitimer ma présence ici et me donner un peu de force , et peut être , pour imaginer une société plus « humaine », et surtout une où l’on veut bien de moi tu vois , de moi et de mon mental un plus peu cassé tous les jours. Tu comprends là ?

Et puis , je le sais qu’est ce que tu crois , France ne veut pas de moi , alors tu penses , moi , enfermé ici, je rêve à un autre monde , parfois en idéalisant le pays d’origine de ma famille , je regarde ma vieille mère et pense à mon père mort à la guerre , en en faisant un éden, une cause , même ... qui sait comment cela pourrait finir ....

... ah , mais désolé , monsieur le président, désolé mais je ne pourrai pas , demain, me lever pour aller vers des gens qui ont peur de moi, qui ne me croient pas, en qui je ne crois plus. Faut comprendre , c’est tout , faut comprendre, laissez moi au moins ... zoner en paix ... car vous m’avez épuisé ... car je suis un homme vide.

Voilà , c’est une pensée pour tous ceux qui sont restés dans l’univers de déprime que j’ai pu « côtoyer » à l’époque , et aussi , un message pour vous dire que le ban , la banlieue existe dans tous les cœurs ... pétris de fantasmes et de peurs ...

Par la même , la seule solution est de nous connaitre mieux de comprendre la misère et l’enfermement social d’un coté , l’isolement individuel, le matraquage médiatique et la peur fantasmée de l’autre ...

Vouloir faire tomber ces barrières une des seules choses qui nous reste à faire activement si l’on veut avancer ... car mon histoire , elle a déjà plus de dix ans.

Merci de votre lecture , merci à l’auteur pour son article qui pousse à l’effort et au discernement. Quoi que la télé , les faits ou les fantasmes des téléspectateurs le disent, il y a, beaucoup d’amour dans les cités, un amour de plus en plus torturé par la mise au ban, certes, mais beaucoup d’amour. J’y suis passé, et je l’ai vu , et j’aimerais tant que vous me croyiez...

GRL


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès