Cher Morice,

ça ne fait pas très longtemps que j’habite le Nord, mais je connaissais déjà la Belgique qui m’attirait par de nombreux aspects.

D’abords, toute enfant, j’ai voué un véritable culte à Gaston Lagaffe, puis, par extension, à Franquin que j’ai suivi jusque dans ses Idées Noires, qui , curieusement, agissent encore aujourd’hui sur moi comme le meilleur anti-dépresseur : quand ça va pas fort, je m’endors sur un album, le sourire aux lèvres.

Plus tard, j’ ai commencé à comprendre les chansons de Jacques Brel : comme j’étais une fille, sa "misogynie" m’énervait bien un peu, mais en même temps, je comprenais très bien ce qui le mettait hors de lui chez ces femmes accusées de coquetterie et de duplicité. J’aurais aimé lui expliquer qu’à cette époque, elles n’avaient pas le choix, qu’elles usaient des armes des faibles... Je suis sûre qu’il aurait compris, mais il est mort avant mes 17 ans, et avant que j’aie pu poster ma lettre de 3 pages que je fignolais et peaufinais depuis 4 ans.

Après, j’ai travaillé dans mon Sud d’adoption, au festival d’Avignon, dans les campings, dans les piscines, sur les plages des Saintes (Marie de la Mer), pour y vendre des maillots, des chips, des glaces, dans des centres d’assistance touristique, et j’ai eu l’occasion d’apprécier la jovialité, la simplicité et la bonhommie des touristes belges.

Après quelques années, je me suis retrouvée catapultée secrétaire de direction d’un des bureaux allemand d’une agence de voyage "alternative" , comme on disait dans les années 80, -Magic Bus, pour ceux de ma génération... - par Gustav, un belge d’Anvers, expert comptable, que tout le monde moquait car il était le seul à porter le costume trois pièces cravate, et qui croyait en mon fort potentiel - officiellement- , malgré mon allemand balbutiant de l’époque et ma totale incompétence, mais avait parfaitement jaugé ma naïveté et mon aptitude à passer les frontières en tant que petite française fraîche et proprette. Gustav a disparu avec la caisse, Magic Bus a coulé. Je ne lui en veux pas, sauf que je regrette un peu que les mômes d’aujourd’hui ne puissent plus se payer un Londres-Dehli en trois semaines pour l’équivalent de deux mois d’abonnement de téléphone portable. C’était quand -même plus enrichissant. Enfin, ce n’est que mon avis.

Par la suite, j’ai repris des études : devenue enseignante, j’ai eu un gros coup de coeur pour nos antilles françaises auxquelles je suis rattachée par mon histoire familiale, mais chaque fois que je l’ai pu, chaque fois que j’en ai eu l’occasion, chaque fois que j’ai senti nécessaire et indispensable pour moi et mes enfants d’aller se ressourcer au lait de la vieille Europe, c’est en Belgique que je suis allée, et je n’ai jamais été déçue.

Aujourd’hui, je passe régulièrement la frontière pour acheter du tabac- j’ai longtemps résisté par civisme, considérant qu’il était normal que mon "vice" contribue à financer l’ Etat Français, mais depuis que ça contribue aux cadeaux fiscaux, pardon , mais je me retire...-, pour acheter des vélos (que l’on nous vole régulièrement dans la métropole lilloise. Pour en faire quoi ? On se le demande... A 7 h du mat’ sur mon vélo pour aller bosser, je ne vois personne et la piste cyclable est à moi !-, pour se taper la cloche à 8 euros par tête dans un estaminet... Pardon, mais fonctionnaire de l’état à bac +6 et mère de famille nombreuse de grands enfants avec copains et copines, il n’y a plus que la Belgique qui me permette encore de leur offrir une petite sortie.

Alors, nazis, pédophiles... Certes, certes... On a aussi ce qu’il faut chez nous en la matière. Et "ces gens là", comme dit la chanson, je n’en ai jamais rencontré, car en Belgique comme en France, je choisis mes fréquentations.

Et quand bien même vous auriez raison, Morice, car à aucun moment je ne mets votre sincérité et votre honnêteté en doute, il me vient à l’esprit cette citation de Sartre - de mémoire- "On n’a jamais été aussi libre que sous l’occupation allemande".

La Belgique, à n’en pas douter, est un pays libre.