à lire la suite sur Clio... interressant, même au Tibet la raie publique laïque a sevie .
"L’alliance du sabre et du goupillon (XXe siècle)
L’échec des démarches faites par les missionnaires pour établir des relations pacifiques avec les autorités religieuses et gouvernementales du Tibet, parfois appuyées par le gouvernement de Napoléon III, poussa les membres de la Société à réviser leur attitude. La politique missionnaire balança dès lors entre deux tendances : d’une part, s’appuyer sur la diplomatie française, et d’autre part utiliser au mieux les représentants de l’empire du Milieu. Cette logique, où se mêlaient nationalisme et prosélytisme, reçut un accueil favorable à Paris où l’on vit d’un assez bon œil ces religieux qui pouvaient, idéalement, former un maillon entre le Yunnan, où la France était bien implantée, et le cœur de l’Asie, voire le Tibet. L’installation durable des autorités françaises en Indochine à partir des années 1880 renforça encore cet espoir d’une France coloniale qui, laissant le champ libre à la Grande-Bretagne en Inde, en Asie centrale, sur les côtes et à l’embouchure des grands fleuves chinois, se forgerait une zone d’influence allant de la mer de Chine au Tibet oriental.
Selon cette optique, la France se plaçait avantageusement sur les grands réseaux marchands d’Asie centrale et du Tibet, dont les missionnaires vantaient la richesse en or, platine, musc et fourrures. Le discours anticlérical qui agitait la classe politique française à la même époque n’eut aucun effet pour les missionnaires et, loin des luttes franco-françaises, missionnaires et diplomates parlaient à l’unisson. L’obstacle à vaincre était de taille : les monastères tibétains qui, même sous la juridiction chinoise du Yunnan et du Sichuan, entretenaient d’étroites relations avec ceux de Lhassa où le gouvernement de Pékin admettait n’avoir aucun pouvoir, ni aucun droit. Toutes les installations chrétiennes dans les Marches tibétaines eurent à souffrir des édits émanant du Tibet qui ordonnaient l’expulsion des prêtres et interdisaient l’implantation du christianisme. Les principautés tibétaines, pourtant sous l’autorité de la Chine, relayaient activement ce discours.
Jusqu’au début du XXe siècle, les missionnaires firent des va-et-vient entre la frontière sino-tibétaine et les régions majoritairement chinoises du Sichuan, où l’évêché était installé depuis 1867 à Tatsienlou, l’actuelle Kangding, et passèrent une partie de leur temps en interminables procès pour obtenir des indemnités. L’invasion du Tibet par les troupes anglo-indiennes en 1904 fut un tournant. D’abord, car elle laissa espérer qu’enfin le haut plateau serait ouvert à la christianisation, ensuite car la Chine, sentant la menace, renforça sa présence et son autorité dans les régions tibétaines frontalières du Tibet, au Sichuan et au Yunnan, là où vivaient les missionnaires. Saluant à l’été 1904 la chute de Lhassa, « la capitale maudite », les prêtres misèrent aussi sur l’empire du Milieu dont les agents souhaitaient, comme eux, la soumission, voire la disparition, des pouvoirs monastiques et seigneuriaux des Marches tibétaines.
Le refus des Tibétains, notamment des moines, de se plier aux réformes agraires et à l’exploitation minière imposées dans les Marches se transforma rapidement en révolte. En 1905, sur les conseils des missionnaires français, le monastère de Batang, l’un des plus importants foyers de la rébellion, fut attaqué et ses moines massacrés. La réplique fut sans concession : quatre missionnaires furent capturés, puis torturés avant d’être tués. Un an plus tard, en juin 1906, alors que le soulèvement était général, le dernier grand refuge des révoltés, le monastère de Sampéling, fut à son tour détruit et la population qui, par milliers, s’y était réfugiée fut massacrée. Zhao Erfeng, l’administrateur impérial chargé de la répression, était loué par les missionnaires, mais pour beaucoup, révoltés tibétains et soldats chinois confondus, il était qu’un « boucher ».
La lune de miel avec la Chine fut d’assez courte durée malgré les grands espoirs que nourrissaient les prêtres. La collaboration entre l’évêque, Mgr Giraudeau (1901-1936), et Zhao permit toutefois de réintégrer les postes perdus lors de la révolte et d’en créer de nouveaux, mais il n’était toujours pas question de pénétrer au Tibet même.
En outre, le retrait des Britanniques du Tibet, les nouveaux accords signés entre la Chine, la Grande-Bretagne et la Russie (1906-1908) faisaient du pays un état dépendant de Pékin, ce qui pour la France marquait l’abandon de ses ambitions géostratégiques. Pour preuve, lorsque le XIIIe Dalai Lama (1876-1933) proposa une alliance à la France en 1908 pour court-circuiter les manœuvres chinoises, Paris refusa et se rapprocha encore de Pékin. La Révolution républicaine chinoise de 1911 sema un grand désordre, et les années qui suivirent plongèrent les prêtres au cœur des conflits que se livraient les seigneurs de la guerre du Sichuan, du Yunnan, et les monastères et les princes des Marches qui, bien que théoriquement déchus et soumis, n’en gardaient pas moins une grande autorité.
Deux guerres frontalières entre le Tibet et la Chine (1917-1918, début des années 1930) compliquèrent encore l’affaire pour les catholiques puisque, à l’issue de la seconde, le territoire de l’ancienne mission de Yerkalo (Yanjing) fut perdu par le Sichuan, au profit du Tibet. Les missionnaires se trouvaient donc dans une situation inédite depuis les années 1860 et leur expulsion du sol tibétain : ils disposaient d’une installation sur le territoire de Lhassa dont le gouvernement, par intermittences, fit preuve de bonne volonté pour leur faciliter l’existence.
Les missionnaires délaissèrent toutefois leur rêve de conquête apostolique du Tibet pour se concentrer sur les Marches où un important travail se fit vers Tatsienlou (Kangding), au Sichuan, et dans la région du haut Mékong, au Yunnan, à la population composite formée de Tibétains, de Mosos, de Naxis, et de Lisus. L’action caritative avait toujours été l’une des composantes de la vie missionnaire, dans le monde tibétain comme ailleurs, mais à compter des années 1910, et surtout à partir dans les années 1930, ce fut là la principale source de succès : des dispensaires, une léproserie et ses annexes, ainsi qu’un ambitieux projet d’hospice d’altitude en formaient le nouveau fondement.
Pour venir à bout de la tâche, la Société des Missions étrangères fit appel aux franciscains, aux sœurs franciscaines de Marie, et aux chanoines du Grand-Saint-Bernard auxquels échurent la plupart des installations du Yunnan tibétain. La Révolution communiste chinoise brisa l’élan. Passés les premiers tourments de 1949, une accalmie permit aux plus utopistes de croire en la tolérance religieuse apparente du nouveau gouvernement, mais on déchanta rapidement. Dès 1950, les premières brimades touchèrent le clergé catholique chinois ; en 1952, tous les prêtres de la Mission du Tibet, devenue l’évêché de Kangding, furent expulsés après avoir été pour certains torturés ou au moins maltraités par les troupes et les administrateurs de la nouvelle Chine."...
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