Le choix se fait entre ces deux attitudes :
1/ Je ne suis pas d’accord avec vous, et je le dirai, mais vous devez pouvoir vous exprimer. C’est la tolérance humaniste des Lumières ; Voltaire n’était pas d’accord avec Helvétius, mais prenait son parti hautement, quand des "hommes absurdes" faisaient brûler son ouvrage De l’Esprit.
2/ Vous n’avez pas le droit de dire cela. On va vous faire taire, vous fermer votre clapet, etc. Comportement que Christian Combaz a appelé, pas si anachroniquement que cela, un "stalinisme rampant du milieu littéraire français" (La vertu par l’anathème, avril 2000). Pratiquement, le moyen est la poursuite devant les tribunaux par des associations (UEJF, LICRA, MRAP, SOS-Homophobie notamment).
Il revient certes à l’État de maintenir l’ordre public et de rendre la justice, de contrer le racisme, l’antisémitisme, la diffusion de fausses nouvelles, le sexisme, et l’âgisme, lorsqu’un dommage manifeste est causé à une personne ; mais pas de réprimer les divagations historiques ou scientifiques, ni par ailleurs ce qu’on appelle aujourd’hui l’homophobie (extension sociologique discutable d’un trouble psychiatrique masculin rare) ; « Chacun est libre de critiquer ou d’approuver l’homosexualité » assurait le ministre Robert Badinter au Sénat en 1982 (séance du 5 mai). Il n’y a pas davantage à limiter l’expression de points de vue anti-religieux ; or l’anticléricalisme républicain devient lui aussi politiquement incorrect – et ceci malgré la marginalisation du christianisme qui ne se fait plus qu’au profit des deux autres religions monothéistes. On a été jusqu’à inventer le terme d’islamophobie. Certains conflits d’opinions devraient pouvoir subsister dans une République libérale dont Big Brother n’est pas encore le Président (1), ni New Speech la langue officielle, en particulier sur tous les sujets controversés comme l’immigration, la légalisation des drogues dites « douces », la nation, les sectes ou l’adoption par les couples homosexuels, la liberté d’expression devant jouer pour le choix et le traitement de les thèmes de débat possibles. En 1997, des intellectuels de renom – notamment Philippe Sollers – avaient envisagé d’examiner le plus objectivement possible « la question pédophile », et ce genre d’attitude devrait non pas rester confidentiel, mais être étendu. Il importe certes, on l’a dit, de sanctionner les discriminations envers les personnes, lorsqu’elles leur occasionnent un tort manifeste – ce que prévoit déjà, au delà des infractions pénales, l’art. 1382 du Code civil - mais sûrement pas d’exercer une police de la parole par la censure ou l’intimidation, ni même par des dispositions légales, sans cesse renforcées depuis juillet 1972, au point que l’on peut aujourd’hui parler d’un véritable emballement, d’une fuite en avant : loi Pleven (2), suivie des dispositions du Nouveau Code pénal de 1994, de propositions de loi tendant : - à lutter contre l’homophobie (Ppl n° 1893 et 2150 d’une ancienne législature), - à réprimer les propos discriminatoires (n° 2373), - à poursuivre les négateurs des génocides reconnus (n° 2281) ; et plus récemment, les dispositions tendant à aggraver les peines en cas d’intention raciste.
Le débat – public quand il est possible, et entre pairs de même compétence autrement – et l’argumentation sont préférables. Comme l’avait jadis exprimé Serge July :
« Interdire l’expression du racisme, c’est tout simplement militer pour le refoulement, pour le secret, le renfermement et la conspiration. Et à terme, pour plus d’attentats, plus de meurtres. » (3).
C’est établir un flou sur la notion de racisme (confondu avec des considérations philosophiques ou sociologiques qui sont, elles, assez souvent fondées), encourir le risque de crier « au loup ! » à tort, et permettre tous les amalgames avec d’autres discours plus recevables. Dans les faits, l’interdiction de l’expression du racisme, ou de ce qui est supposé l’impliquer, ou l’encourager, ou le cautionner, ou en contenir des relents, ou faire son jeu, ou "réveiller les vieux démons", ou lui donner un gage, etc., limite depuis plusieurs années les débats sur l’immigration, sur les identités nationale et européenne, le terrorisme islamique et la délinquance éthnique, les incivilités, l’éducation et maintenant la nature de la religion islamique. L’esprit général de la France se trouve pourtant confronté à des périls autrement graves que le succès de la musique et du cinéma américains ; Montesquieu savait « combien il faut être attentif à ne point changer l’esprit général d’une nation » (De l’Esprit des lois, XIX, iv). Comme si critiquer une religion était la même chose que dénigrer une race, Michel Houellebecq fut poursuivi en correctionnelle à la suite d’une plainte de « représentants de la communauté musulmane en France » (AFP, 26 décembre 2001) pour avoir écrit :
« Je me suis dit que le fait de croire à un seul Dieu était le fait d’un crétin, je ne trouvais pas d’autre mot. Et la religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré … effondré ! La Bible, au moins, c’est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire … ce qui peut excuser beaucoup de choses. […] L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition. Heureusement, il est condamné. D’une part, parce que Dieu n’existe pas, et que même si on est con, on finit par s’en rendre compte. À long terme, la vérité triomphe. D’autre part l’islam est miné de l’intérieur par le capitalisme. Tout ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’il triomphe rapidement. Le matérialisme est un moindre mal. Ses valeurs sont méprisables, mais quand même moins destructrices, moins cruelles que celles de l’islam. » (Lire, septembre 2001, pp. 31-32)
Alain Finkielkraut l’a été pour avoir déclaré : « Le voilà le vrai choc des civilisations : l’Occident vit sous le régime de la critique, et le monde musulman – élites laïques comprises –sous celui de la paranoïa. » (4
).
1. La liberté d’opinion est affirmée par l’art. 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, article proposé par le duc de La Rochefoucauld d’Enville et adopté le 24 août 1789, puis par l’art. 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de l’assemblée générale des Nations Unies de 1948, par l’art. 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe de 1950 et par l’art. 11-1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne de 2000.
2. La loi Pleven du 1er juillet 1972, non contrôlée par le Conseil Constitutionnel, a été complétée et aménagée en 1975, 1977, 1983, 1985, 1987, puis par la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Voir Jean-Jacques Pauvert, Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la CENSURE, Belles-Lettres, 1994 ; pp. 132-144. Robert Ménard, « La France en liberté surveillée », EPOK, n° 26, mai 2002, p. 21.
3. Serge July, "La liberté d’expression des racistes", Libération, 24 novembre 1978.
4. "Jamais les juifs ne se sont sentis aussi seuls", propos recueillis par Elisabeth Lévy. Marianne, 12 au 18 août 2002.