Discours d’accueil au général de GaullePapeete, 7 septembre 1966
« Serait-ce abuser de votre bonté, Monsieur le Président, que de vous demander de bien
vouloir faire preuve, envers notre ancien député, de la même compréhension qu’envers
Monsieur Mohamed Ahmed Issa ?
Venons-en, maintenant, à la question qui, avec l’affaire Pouvanaa, nous oppose le plus
profondément : l’implantation et les activités du centre d’expérimentations du Pacifique en
Polynésie française.
La création de cet organisme et son installation chez nous, sans que, d’aucune façon, les
Polynésiens n’aient été consultés préalablement à ce sujet, alors que leur santé et celle
de leurs descendants étaient en jeu, constituent de graves violations du contrat qui nous
lie à la France et des droits qui nous sont reconnus par la Charte des Nations
unies.
Votre propagande s’efforce de nier l’évidence en prétextant que vos explosions
nucléaires et thermonucléaires ne comporteront aucun danger pour nous. Je n’ai pas, ici,
le temps de réfuter toutes les contre vérités qu’elle débite. Je vous indiquerai seulement
que les rapports du Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des
radiations ionisantes, de 1958, 1962 et 1964 établissent de façon formelle :
- d’abord, que la plus petite dose de radiations peut être nocive pour l’homme et sa
descendance ;
- ensuite et par conséquent, que toute augmentation de la radioactivité ambiante est à
éviter ;
- enfin, qu’il n’existe aucun moyen de protection efficace contre les effets délétères de la
contamination radioactive généralisée due aux retombées des bombes nucléaires et
thermonucléaires.
Et ces rapports concluent tous à la nécessité de mettre un terme définitif aux essais
d’armes nucléaires.
En vous rappelant ces simples vérités scientifiques, énoncées par un organisme
international aussi qualifié, je ne nourris nullement la naïve illusion de croire que je
pourrai vous faire partager mes craintes et vous amener à renoncer à l’explosion de votre
plus belle bombe et à celles qui suivront.
Aucun gouvernement n’a jamais, jusqu’ici, eu l’humanité de renoncer à ses essais
d’armes atomiques avant d’avoir constitué sa panoplie complète d’engins d’extermination.
Aucun gouvernement n’a jamais eu l’honnêteté ou la cynique franchise de reconnaître
que ses expériences nucléaires puissent être dangereuses.
Aucun gouvernement n’a jamais hésité à faire supporter par d’autres peuples - et, de
préférence, par de petits peuples sans défense - les risques de ses essais nucléaires les
plus dangereux :
- les Américains réservèrent les retombées lourdes de leurs plus grosses bombes aux
habitants des îles Marshall,
- les Anglais, aux Polynésiens habitant les îles équatoriales les plus proches de
Christmas,
- les Russes, aux quelques peuplades du Grand Nord,
- les Chinois, aux Tibétains et aux Mongols,
- les Français, aux Africains d’abord et à nous maintenant.
Mais je ne puis, Monsieur le Président, m’empêcher de vous exprimer, au nom des
habitants de ce territoire, toute l’amertume, toute la tristesse que nous éprouvons de voir
la France, rempart des droits de l’homme et patrie de Pasteur, déshonorée par une telle
entreprise, faire ainsi partie de ce que Jean Rostand appelle le « Gang atomique ».
C’est d’autant plus regrettable que vous venez de prononcer à Phnom Penh un très beau
discours, digne de la grande époque de Londres et de Brazzaville. Vous avez pris la
défense d’un peuple malheureux, victime d’un conflit qui le dépasse, d’un peuple écrasé
sous les bombes et les obus de tous ses « libérateurs ». Après avoir condamné
vigoureusement l’intervention américaine, vous avez fait appel au gouvernement des
Etats-Unis pour qu’il reprenne conscience de sa vocation historique de défenseur de la
Liberté afin qu’en renonçant à imposer, par la force, sa politique au Vietnam, il retrouve
sa vraie grandeur et son prestige aux yeux du monde entier.
En applaudissant, avec les 250 000 Cambodgiens qui vous écoutaient, d’aussi justes et
courageuses paroles, je ne puis m’empêcher de penser à ce que vous venez faire chez
nous et à la réponse que pourraient vous faire, à ce sujet, les Américains.
Je ne leur en laisserai pas l’initiative, étant mieux placé qu’eux pour vous le dire. Et je
vous adresserai cette humble prière :
« Puissiez-vous, Monsieur le Président, appliquer, en Polynésie française, les excellents
principes que vous recommandiez, de Phnom Penh, à nos amis américains et
rembarquer vos troupes, vos bombes et vos avions.
« Alors, plus tard, nos leucémiques et nos cancéreux ne pourraient pas vous accuser
d’être l’auteur de leur mal.
« Alors, nos futures générations ne pourraient pas vous reprocher la naissance de
monstres et d’enfants tarés.
« Alors, l’amitié des peuples sud-américains pour la France ne serait plus ternie par
l’ombre de vos nuages atomiques.
« Alors, vous donneriez au Monde un exemple digne de la France : pour la première fois,
sans peur, sans chantage, sans marchandage, une grande nation, brisant le mur
satanique de la méfiance en renonçant, d’elle-même, à l’usage meurtrier de l’atome,
proclamerait sa foi en la raison et en l’avenir de l’homme en conviant tous les peuples de
la Terre à devenir ses Compagnons de la Libération du Monde.
« Alors, la Polynésie, unanime, serait fière et heureuse d’être française et, comme aux
premiers jours de la France libre, nous redeviendrions tous, ici, vos meilleurs et vos plus
fidèles amis. »
................................
John French TEARIKI, un grand visionnaire....
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