Hansi a dessiné les villages de 1918 aveuglés par
l’« éblouissement tricolore » tandis que les livres d’histoire
glorifiaient les généraux français à moustaches et bottes de cuir
acclamés par la foule. Mais d’autres scènes, moins glorieuses, ont été
poussées sous le tapis de l’Histoire. Novembre 1918, ce sont aussi ces
dizaines de milliers d’Allemands brutalement expulsés d’Alsace. On les
appelle les « Alt-Deutschen ».
Installés dans cette Alsace si belle
après 1871, ils s’y sentent chez eux, contribuant largement à la
prospérité de la région : sous le Reichsland, Strasbourg change de
visage, devient capitale. Les Alsaciens profitent des lois sociales
extrêmement progressistes de Bismarck et en 1911, l’Alsace-Lorraine
obtient son propre Parlement régional (logé dans le bâtiment de
l’actuel TNS à Strasbourg).
L’Alsace a-t-elle vraiment, comme le dit de façon catégorique la version officielle, passé 47 ans à regretter la France ?
« Alsaciens, n’achetez que
dans des magasins alsaciens ! »
Les
Français, nouveaux maîtres des lieux, veulent débarrasser cette région
reconquise de toutes traces du passé allemand. Première mesure :
expulser les « Alt-Deutschen ». Quand ils reçoivent l’ordre
d’expulsion, ils ont 24 heures pour faire leurs maigres valises (30
kilos de bagages maximum par adulte et 2000 Marks par famille) et pour
se rendre sur le lieu de rassemblement qui leur a été assigné. Voilà
d’autres images moins connues : des Allemands élégants, portant gibus,
sont accroupis sur la terre battue et remballent leurs valises qu’un
soldat français vient de contrôler. Des femmes, un enfant dans les
bras, se hissent à bord du camion couvert d’une bâche qui va les
reconduire à la frontière. Tout autour d’eux, des hordes de jeunes
Alsaciens lancent des injures, parfois du crottin de cheval et des
cailloux. « L’opération, écrit L’Elsässer Kurier, à Colmar, a donné
lieu à des scènes indignes. »
Quelque 130 000 Allemands sont
expulsés, toutes catégories sociales confondues. Les honorables
professeurs de la prestigieuse université de Strasbourg (qui auront par
la suite tout le mal du monde à récupérer leurs bibliothèques), les
maires, les fonctionnaires d’Empire « dont l’attitude vis-à-vis des
indigènes a laissé beaucoup à désirer », les instituteurs, des
médecins, mais aussi les employés des chemins de fer, la tenancière
« germanophile » de la buvette de la gare de Kaysersberg et des
commerçants.
Dans les vitrines de leurs magasins, des affiches ont
été collées : « Alsaciens ! Souvenez-vous de 47 ans de répression et de
tyrannie ! N’achetez que dans des magasins alsaciens ! »
L’administration
française les classe « indésirables ». La rue et les journaux les
appellent les « Boches », les « brigands », les « envahisseurs ». Le
général Messimy, libérateur de l’Alsace, parle d’un « peuple veule et
lâche » par opposition à la France, « nation pleine d’idéal et de
bonté ».
Des familles
sont coupées en deux,
le père seul est expulsé !
C’est dans ce climat de nationalisme brutal que les Allemands sont reconduits sur l’autre rive du Rhin
en train ou en camion. Parfois ils traversent le pont à pied, des skis
sur les épaules. Leurs appartements sont mis sous séquestre, très
souvent pillés.
Des familles sont coupées en deux. Le père allemand
est expulsé. La mère alsacienne et les enfants restent. On se salue le
dimanche d’une rive à l’autre du Rhin. Aux archives départementales du Haut-Rhin
existe un gros dossier poussiéreux contenant les suppliques aux
autorités françaises de ces familles déchirées qui ne comprennent pas
ce qui leur arrive.
Un très vilain chapitre de l’histoire
franco-allemande que personne ne songea à déterrer après la Seconde
Guerre mondiale. En 1945, l’héritage allemand en Alsace, déjà tabou,
devient l’héritage nazi.
Personne en Alsace n’ose émettre d’avis
positif sur la période du Reichsland avant 1914. Adenauer et de Gaulle
bâtissent la réconciliation franco-allemande ; le sort de ces Allemands
expulsés d’Alsace est passé sous silence. Un point de détail dans les
livres d’histoire. D’ailleurs, c’était il y a si longtemps...
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