Je crois qu’il est nécessaire de bien séparer deux questions, d’une part Wikipédia et d’autre part l’état actuel de la science historique.
Sur Wikipedia, il n’y a pas grand chose à dire : les règles de cette encyclopédie lui impose d’agir comme elle l’a fait, ses rédacteurs ne peuvent pas s’ériger en comité scientifique, ils reprennent donc l’état officiel de la science. Cela peut certes empêcher Wikipedia de présenter la vérité scientifique de demain ou la prochaine grande révolution de la connaissance, mais ce ne sont pas les buts de Wikipedia qui ne vise qu’à offrir l’état du savoir aujourd’hui.
Sur le second point l’état actuel des connaissances sur les Gaulois, Bibractes etc, il y a énormément à dire, à commencer par les évidences qui semblent échapper aux modérateurs d’Agoravox et qui expliquent que les opinions exprimées par M. Mourey ne sont pas reçues par les historiens et archéologues professionnels.
1) M. Mourey remet en question, si j’ai bien compris, toute la chronologie de l’histoire de l’art en datant de l’antiquité tout un ensemble de bâtiments qui sont classés de manière unanimes dans la période médiévale. Quels arguments apportent-ils pour une si grande révolution ? Bien peu au regard de ce qu’un si grand bouleversement de nos connaissance exigerait : a-t-il fait des études typochronologique détaillées ? A-t-il des datations incontestables (C14, dendrochronologie etc) ? A-t-il des sources écrites explicites (inscriptions de fondations, dédicaces de monuments, archives) ? A-t-il des analyses archéologiques claires sur la chronologie, des stratigraphies ? Rien de tout cela, juste une conviction personnel sur ce à quoi doit ressembler une ville et plus particulièrement une ville gauloise.
2) Sur Bibracte quels sont ses arguments ? Selon lui il n’aurait pas été logique d’y implanter une ville, certains de ses lecteurs entérine cet argument avec des constructions logiques comme celle-ci « si j’étais un marchand où est-ce que j’irai ? » Ce type de construction intellectuel a certain mérite mais il est considérablement fragile : c’est la meilleure occasion de projeter de manière anachronique nos conceptions sur celles du passé. c’est une erreur grave de méthodologie historique de ne pas prendre en compte, de ne pas chercher à établir la différence qui existe entre le passé et nous. Plus ce passé est lointain, plus cette erreur est grave. M. Mourey abolie complétement cette différence, on voit donc en quoi il peut choquer les spécialistes. L’argument sur les marchands ne porte pas : qu’est-ce qui décidait à implanter une agglomération en tel ou tel endroit à la fin de l’âge du fer ? On en a peu d’idée : nous n’avons aucun texte. Prétendre que seules les contraintes marchandes ou autres comptait est une pétition de principe. L’existence de minière actuellement fouillées au Beuvray peut expliquer certaine chose, mais l’essentiel nous manque : la culture, la mythologie, le détail de l’organisation du territoire, des cultures. Faire fi de ces lacunes dans nos connaissances c’est manquer de l’humilité nécessaire à toute recherche.
3) Pour M. Mourey, Bibracte serait Gorgobina, la ville serait donc postérieure à l’arrivée de César en Gaule, les amphores qui y sont présentes ne seraient que du ravitaillement. Ces arguments sont absolument irrecevables au regard de ce que l’archéologie nous apprend sur le site :
* On mentionnera l’unanimité absolue de toute la communauté scientifique sur la question. Il y a à Bibracte des chercheurs de nombreux pays, de Leipzig, de Budapest etc et depuis maintenant des années. Il n’y en aurait donc pas un pour soulever le problème ? Ce que dit M. Mourey sur les comités de lecture, les revues etc est faux, des travaux iconoclastes et nouveaux passent, invoquer un complot c’est se défausser un peu rapidement. Rien n’est plus faux que d’imaginer la communauté des historiens et archéologues commer fermée et copains comme cochons, les polémiques scientifiques peuvent être vives et l’ensemble est marqué par une certaine compétition, s’il y avait possibilité de contredire quelqu’un sur ce point, d’ériger une réputation scientifique en cherchant Bibracte ailleurs cela aurait été fait, si cela ne l’est pas c’est que cela n’a aucun intérêt
* On reconnaîtra certes que l’on connaît surtout les niveaux les plus récents de Bibracte. Mais c’est la conséquence de l’étendue du site et de sa richesse. A la pature au couvent les archéologues ont fouillé une domus d’époque augustéenne, juste en dessous ils ont trouvé une basilique romaine (donc construite entre césar et auguste). c’est une découverte de première ampleure : il y a eu à Bibracte une architecture romaine monumentale, un projet d’urbanisme romanisé dès 40 av. J.-C. C’est unique et exceptionnel : la richesse de ces niveaux fait qu’ils sont actuellement privilégiés.
* des murailles immenses : deux enceintes ont été reconnues, les quantités de matière (bois et fer) qu’elles ont mobilisées supposent une quantité de travail énorme et une durée impossible à placer entre césar et auguste. la typologie et l’analyse de ces murailles orientent vers une date antérieure à la guerre des gaules. Il y a d’autres indications. Les fouilles de la Terrasse sur la Chaume montre qu’elle fut créée dès le IIIe siècle avant J.-C., ce simple fait contredit toute l’argumentation sur les Boïens. Est-ce que sur son Mont-Saint-Vincent M. Mourey a un seul fossile directeur ? Un seul bâtiment , un seul objet rentrant dans une typologie laténienne ?
* Non il a postulé un lieu de bataille en un endroit et postule un oppidum à 27 km de là. mais son hypothèse sur la bataille a-t-elle un début de vérification expérimentale ? Je ne crois pas. Selon lui la vérité vient uniquement du texte de césar. Au regard des possibilités de l’archéologie aujourd’hui c’est une aberration méthodologique. M. Mourey a précisé dans un de ses articles qu’il traduisait César « mot à mot ». Faut-il préciser que tout ceux qui ont pratiqué une langue étrangère savent que le mot à mot est à proscrire ? Quelle est la qualité du travail philologique de M. Mourey, sur quel corpus de manuscrits s’appuie-t-il ? Quand il choisit tel ou tel mot pour traduire tel ou tel terme latin sur quels parallèles s’appuie-t-il ? M. Mourey affirme beaucoup mais ne prouve rien, du moins rien selon les critères minimaux des sciences contre lesquels il prétend s’élever.
* Ainsi des amphores sur le Beuvray. Pour lui c’est le ravitaillement de Gorgobina. Qu’est-ce qui lui permet d’affirmer cela ? On ne le sait pas. Que le lecteur d’Agoravox peu au fait des choses apprenne ici qu’à partir d’un col d’amphore on est capable de retrouver la chronologie de production de l’amphore (grace à la typochronologie et au classement des amphores en type qui ont des noms comme dressel 1 etc), le lieu de production (par analyse chimique de la pâte) et parfois le propriétaire du lieu de production (par lecture des timbres estampillés dans la pâte). Les amphores du Beuvray sont bien connues, ont été triées, analysées, attribuées, cela permet de voir les liens commerciaux entre éduens et romains, de leur donner une chronologie et une géographie. Cette géographie et cette chronologie ont bien évidemment un début antérieur, et largement, à l’arrivée de César. bref une analyse sérieuse des amphores de Bibracte interdit complétement la thèse du ravitaillement des Boïens. M. Mourey a-t-il analysé chimiquement les amphores dont-il nous parle ? Les a-t-il classé typologiquement ? A-t-il dressé le catalogue des timbres, confronté ces résultats aux autres lieux de trouvailles d’amphores, aux épaves de navires commerciaux etc ? Non. Absolument non. Et pourtant il tranche sans vergogne sur l’origine et la date de ces amphores en énonçant une contre-vérité. Pour ceux qui le désire je pourrai signaler les publications scientifiques qui permettent d’approcher ces travaux qui ont porté sur les amphores de Bibracte. A elles seules elles réduisent à néant les hypothèses de M. Mourey.
* L’argument sur les monnaies n’a pas plus de valeur. M. Mourey se plaint qu’on n’a pas de monnaie d’or sur le Beuvray. Il faut apprendre au lecteur que l’on sait depuis les travaux de Jean-Baptiste Colbert-de-Beaulieu que les éduens, et d’autres peuples, avaient alignés bien avant la guerre des gaules, leur monnayage sur celui de Rome et utilisaient donc l’argent et le bronze essentiellement. Par cet argument M. Mourey montre son ignorance du monde protohistorique et des recherches depuis plus de 50ans.
* Je raconte un peu l’histoire de Colbert-de-Beaulieu car elle infirme complétement les idées ici présentes sur la fermeture et la censure des scientifiques. CdB était un médecin numismate amateur. Recevant un trésor de monnaies gauloises il l’étudia selon les pratiques habituelles. En faisant cela il commettait une hérésie : tout le monde pensait que les Gaulois avaient un monnayage irrationnel et s’interdisait de faire ce type d’analyse (analyse par recherche de similitudes de coins). CdB allait donc frontalement contre la science établie de son époque. Qu’arriva-t-il ? Sa démonstration était menée rigoureusement, tout le monde fut convaincu, il devint le plus grand spécialiste des monnaies celtiques. Comme quoi le monde académique peut tout a fait accepter de voir ses certitudes remise en cause par un amateur, encore faut-il que la démonstration tienne.
4) Qu’est-ce qu’une ville gauloise, comment la reconnaître ? Imaginer les villes gauloises sur le modèle des bourgs et ville du Moyen-âge est une faute méthodologique on l’a vu, c’est aussi mépriser le travail des archéologues depuis plus de 100 ans mais aussi mépriser les qualités techniques de la civilisation de la Tène, civilisation du bois, de l’adobe et du fer. L’effort en sidérurgie nécessité par un murus gallicus comme celui du Beuvray est techniquement et économiquement bien plus impressionnant que les pierres du Mont Saint-Vincent. Il faut cesser de juger le monde à l’aune de son propre point de vue, de penser que de tous temps on a fait les villes, la guerre et le commerce de la même manière. Aujourd’hui les techniques de fouilles permettent de retrouver et de dater finement des architectures de bois et de terres et révèlent l’organisation des villes gauloises. Ce n’est pas en rêvant sur des villages médiévaux que les lecteurs d’agoravox prendront connaissances des véritables nouveautés sur les gaulois.
5) gergovie. Un simple fait : dans les murailles du plateau de Gergovie (qui s’appelait bien ainsi depuis le moyen-âge et ne s’appelait pas plateau de merdogne, je peux donner une liste de document médiévaux auvergnat qui est sans appel) on a retrouvé, en position, un fer de trait de catapulte romain (encore une fois la typologie permet d’être sûr du contexte). Et la fouille de la muraille a montré comment elle a été complété d’urgence comme le texte de césar le dit précisément. Bref on a les traces mêmes de la bataille et il n’y a plus d’hésitation possible. Bien sûr après on peu tordre le texte de césar dans un sens ou dans un autre pour chercher où l’on veut ce que l’on veut - et y placer ensuite aussi l’atlantide est une autre histoire - mais pourquoi les scientifiques devraient-ils écouter ce genre d’hypothèse ?
Conclusion : on est quand même très peiné de voir qu’au lieu d’avoir sur Agoravox des articles présentant au public l’état réel des recherches historiques et les découvertes souvent passionnante (basilique de bibracte, centre ville de corent,chevaux de gondoles, casques de tintignac, origines de lyon etc) la discussion se polarise autour d’hypothèses totalement éloignées de la méthodologie historique et de la pratique de l’archéologie, et cachent leur manque d’argument scientifique derrière des accusations - complot de l’archéologie officiel - et des proclamations souvent hors-sujet.
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