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Renaud D. (---.---.222.187) 24 mars 2006 20:54

Lorsque la loi sera promulguée dans les termes votés par la Chambre des députés, ce qui me paraît inéluctable, il me semblera raisonnable de la part des majors du disque de préparer leur reconversion et de vendre leur boutique à Microsoft.

Le monopole dont dispose cette entreprise dans le parc informatique est une donnée qui semble avoir été occulté derrière le principe de la libre concurrence. Quelle concurrence et quelle régulation peut-on espérer lorsqu’un seul acteur possède 90 % du marché ?

L’efficacité de la stratégie de Microsoft depuis sa création tient à son extrême simplicité. Elle fonctionne en deux phases. Première phase : imposer gratuitement un standard. Deuxième temps : envoyer la facture aux utilisateurs. Qu’il s’agisse de ses systèmes d’exploitation ou de ses suites bureautiques, la stratégie est restée la même. Les applications Microsoft, à la différence de celles de ses concurrents, ne sont pas protégées contre la copie. Elles se sont donc répandues sur toutes les machines. Microsoft a participé ensuite à la création d’un organisme sanctionnant l’utilisation illégale de ses logiciels. Les entreprises sont aujourd’hui contraintes d’utiliser ces applications afin de pouvoir communiquer entre elles et ne peuvent plus se permettre de ne pas les payer sans risquer une forte amende. Pour la petite histoire, Louis Renault a fait la même chose vers 1901 avec son brevet concernant la prise directe des boîtes de vitesse. Il a laissé tout le monde le copier, puis a fait un procès à un petit constructeur qu’il a ruiné. Tous ses concurrents se sont précipités pour lui payer des royalties.

Le but de Microsoft est de gagner de l’argent sur tout ce que l’on produit avec un ordinateur. L’entreprise a clairement annoncé la couleur lorsqu’elle a lancé son système de messagerie « Passport ». Les conditions générales de cette application impliquaient que Microsoft devenait PROPRIETAIRE DE TOUTES LES DONNEES TRANSITANT PAR CE MOYEN. Cette disposition a été amandée, mais il faut la prendre pour ce qu’elle était : un ballon d’essais.

La situation concernant les droits d’auteurs sur l’Internet s’inscrit dans cette stratégie. La loi imposera à 90 % du marché d’utiliser les DRM de Microsoft. Les distributeurs devront payer à Microsoft des royalties afin de les utiliser (nous verrons le cas Apple plus bas). La loi précise en outre que les DRM Microsoft devront être lus par toutes les machines (principe de l’interopérabilité). Lorsqu’il sera parvenu à la situation de monopole sur ce segment, Bill Gates rachètera progressivement des labels indépendants et produira lui-même. Il est déjà, personnellement, en position de monopole sur le segment de la photographie en ligne. Bill Gates, pas Microsoft. Les majors pourront toujours exiger que leur fournisseur de DRM ne distribue pas de musique pour son propre compte : elles sont déjà contournées.

La seule entreprise qui peut encore s’opposer à ce monopole est Apple. D’où son forcing avec l’I-Pod. La nécessité d’un standard ouvert risque de devenir rapidement difficile pour Apple, mais Steve Jobs a anticipé ce risque en opérant un changement stratégique de la société. Apple utilise dorénavant les processeurs INTEL dont la technologie sera utilisée par Microsoft pour identifier les machines et permettre ou non l’ouverture DE CHAQUE FICHIER de l’utilisateur, au cœur des futurs DRM. Steve Jobs sait, depuis longtemps, que son avenir passe par un alignement avec la technologie Microsoft-Intel. Pour rester sur le marché, il s’est donné pour objectif de devenir le seul autre acteur total dans le domaine des droits sur Internet : production (d’où son rapprochement avec Disney), distribution avec ses propres DRM compatibles Intel, contrôle du parc client.

Dans ses conditions, combien de temps donnez-vous à la FNAC, à Virgin ou à Vivendi avant de devenir des boutiques de quartier ? Sauf à devenir un acteur majeur de la micro-informatique et d’imposer leur propre DRM, et par, conséquent leur propre système d’exploitation, ils n’y parviendront pas. Il n’y a plus de place pour un nouveau système d’exploitation. Même IBM a renoncé ! Tout le reste n’est que bout de ficelles.

Le projet de loi DADVSI ne protège pas les distributeurs, mais seulement les propriétaires des applications de DRM.

A terme, le marché de la production musicale ne se jouera plus qu’entre deux acteurs : Microsoft-Bill Gates et Apple-Steve Jobs-Disney. D’ici-là, les dirigeants et actionnaires des actuels Majors auront eu le temps de quitter leur navire en déroute. Scénario catastrophe ? Qui aurait parié, il y a vingt ans, que Microsoft allait s’emparer de l’exclusivité de fait des applications de bureautique ?

Le projet de loi DADVSI ne permettra pas non plus un auteur de mettre en ligne ses œuvres puisqu’il devra soit acquérir auprès de Microsoft les droits afférents à l’utilisation des DRM, soit demander à Apple de l’accepter sur la liste des œuvres présentées au public. Nous assisterons au naufrage de la création artistique, soumise au business plan de ces deux entreprises mondiales.

La licence globale optionnelle et l’interopérabilité, proposées par les opposants au projet de loi DADVSI, me semblent ne répondre que partiellement à cette problématique. Dans le cas de la licence globale, l’interopérabilité ne profitera également qu’aux acteurs déjà implantés sur un marché dans lequel il devient de plus en plus onéreux de s’installer de façon globale. Elle sera préjudiciable à de nouvelles solutions technologiques qui devront prendre en compte l’existant pour acquérir un droit d’accès au marché. Si Apple avait dû respecter ce principe, Microsoft resterait seul acteur. Il n’est quand même pas difficile d’installer plusieurs lecteurs sur sa machine, d’autant que ceux-ci sont gratuits ! Dans tous les cas, l’interopérabilité gèle les positions dominantes et desservira le consommateur à long terme.

La licence globale présente également deux inconvénients éthiques. Elle entérine ce « droit à l’appropriation illimitée des œuvres » dont prétendent s’emparer ceux-là même dont elle voudrait limiter les abus. D’autre part, elle a pour effet de faire financer les dépenses de plus gros consommateurs par les plus petits. Nous sommes loin du commerce équitable, dont l’éthique s’appuie sur le principe d’une juste répartition des valeurs entre acheteurs et vendeurs.

C’est pourquoi il me paraît nécessaire d’en limiter l’usage. Sur la base d’une licence à 6 euros mensuels, deux cents téléchargements mensuels procurerait à chaque artiste un revenu semblable à ce qu’il gagnerait à travers les DRM, soit 3 % d’un dollar. Cette somme est dérisoire ! Limiter à cent chargement permettrait de doubler ce montant tout an procurant aux internaute environ cinquante heures de musique nouvelle. Ne figurent ici que des ordres de grandeur.

La licence globale ne résout pas non plus le problème du monopole des logiciels de téléchargement qui est entrain de s’établir. Cependant, à la différence de l’obligation d’utiliser des DRM, ces monopoles ne remettent pas en cause, à terme, la liberté de créer.

La licence globale présente néanmoins l’avantage de conserver la répartition des cotisations afférentes à une œuvre envers l’ensemble des organismes concernés avant que l’auteur n’en touche la soulte.

La sagesse du législateur consisterait à obliger celui qui met à disposition d’autrui des œuvres protégées à verser les droits, taxes et impôts relatifs à ces œuvres et à se tenir à ce fait, sans rentrer dans des considérations techniques. On peut prévoir l’obligation mettre en œuvre un procédé permettant de contrôler le nombre de téléchargements. Installé sur le serveur, ce procédé ne dépend pas du système d’exploitation de l’internaute. Rentrer plus en détail dans les dispositifs techniques déstabilisera logiquement le marché au profit des acteurs les plus puissamment installés.

La licence globale optionnelle pourra se présenter comme une possibilité de s’acquitter des droits d’auteurs. La présence du logo de l’organisme répartiteur figurant en bonne place sur la page de garde de chaque site permettant un téléchargement permettrait à ses exploitants d’exprimer leur bonne foi. Il reviendrait à ces exploitants de remplir leurs obligations vis-à-vis des ayants droits. Il reviendrait à l’internaute de s’assurer que le site Internet qui lui permet de charger ces œuvres possède le logo de l’organisme agréé. Les amendes prévues par la loi trouveront ici pleinement leur sens. Elles s’accompagneront de domages-intérêts au profit de l’organisme spolié.

Un auteur indépendant pourra ainsi, s’il le désire, proposer lui-même ses créations au téléchargement et se faire payer par un des nombreux moyens existant actuellement. Il fera son affaire du paiement de ses cotisations vis-à-vis de l’organisme dont il présentera le logo. Il pourra profiter d’une mutualisation du contrôle des flux, le procédé étant mis à sa disposition par son hébergeur, voire utiliser des sites coopératifs de mise en ligne d’œuvres artistiques, privés ou publics.

Cette solution concerne de façon universelle toute forme de création artistique : la musique, mais aussi le dessin, la peinture, ou l’écriture. Elle aura le mérite de maintenir cette formidable capacité d’innovation de la communauté de l’Internet. Et de permettre à création tout court de ne pas disparaître dans un business plan.

Renaud D.


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