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easy easy 14 juin 2011 13:20


Voilà un papier, de votre part cher Dugué, qui tranche avec les autres. Celui-ci est à mes yeux bourré de raison.


Au fond, vous abordez le question de la transcendance de la science ou ce qui reste de sa transcendance.

Est-ce l’individu, le scientifique en l’occurrence, qui fait la transcendance ou est-ce elle qui fait l’individu, son attitude ? Sans doute sont-ce les deux à la fois mais toute transcendance ne commence ou ne jaillit que par le comportement d’un individu. Si la royauté était régulièrement bourrée de transcendances, c’est aussi la personnalité de certains rois, Henri III, Henri IV, Louis XIV, qui les ont amplifiées et rendues plus sublimes encore. 

Concernant les personnes qui ont incarné ou représenté des transcendances, je remarque des évolutions au fil des siècles. 

Les personnes incarnant des transcendances ont donc longtemps été des personnes physiques, des individus ressortant comme des miracles, avec donc un côté irremplaçable ou très difficilement remplaçable de leur personne. Et, sans doute à la faveur de l’égalitarisme à la Jules Ferry en même temps que de l’industrialisation puis de la mondialisation de tout et de toute chose, on serait passé d’incarnations sous forme de personnes physiques à des incarnations sous forme de personnes morales ou de disciplines (là se situent les grandes heures de la science), puis à des incarnations sous forme de masses humaines (je parle de Facebook ; de Wikipédia, d’Internet) et du coup au bête argent.

L’argent aurait pu trôner, depuis la nuit des temps, au sommet de tout. Mais non. Pendant les grandes heures de Venise, l’argent, qui était pourtant très important, était placé en dessous du principe du Doge, en dessous du principe du commerce maritime, clef ou source de tous les miracles. Et en dessous encore de la religion. Puisque les navires étaient sous la protection de Dieu, se fâcher avec lui valait ruine. L’argent était également placé en dessous du dieu Mer ou de l’art de naviguer (ce point était très net chez les Portugais des grandes heures). Un génie de la navigation avait la clef de tous les miracles.

Ensuite, il y a eu l’époque scientifique ou des Buffon, des Newton, des Darwin, des Pasteurs, Edison, Nobel et Einstein ont semblé en mesure de livrer (à tous) l’accès à des miracles.

Mais concernant la science, nous avons assez rapidement vu son revers. C’est d’ailleurs le seul cas de divinité qui nous ait fait autant souffrir de l’avoir tant adorée. A peine commencions-nous à rêver lors de l’apparition des premiers avions que déjà, ils nous napalmaient comme Robur le conquérant l’avait annoncé.


Le fait de la démocratisation du savoir et du pouvoir (Quoi qu’on en dise, un gueux a tout de même plus de chances de devenir prince de nos jours qu’il y a deux siècles, ne serait-ce qu’en vertu du Loto) ce fait là conduisait forcément à ce que nos prochains dieux soient plus tournants. Un jour l’un, le lendemain un autre.

De tous les miracles que nous attendons, l’immortalité est le plus grand.
Et bien si autrefois la longévité dun roi était essentielle, cruciale pour son peuple, elle ne n’est plus aujourd’hui pour la plupart des Terriens. C’est la nôtre, celle de tout quidam qui devient essentielle.
Depuis un siècle, nous sommes informés de manière planétaire et nous apprenons que les individus les plus vieux sont des gueux et nous étudions leur cas afin de les copier. La source de jouvence s’est déplacée de la religion à la médecine pour se trouver aujourd’hui davantage dans le mode de vie, ce qui renvoie à une gueuserie, à du « n’importe qui ».

N’importe qui président, n’importe qui millionnaire, n’importe qui star, n’importe qui centenaire, ça conduit forcément à une défocalisation sur un individu particulier.

Dans le même temps, ce n’est plus un Pasteur qui découvre un vaccin mais un laboratoire, une entreprise, donc une entité à la fois immortelle et banale de principe. L’entreprise Pasteur ou Steinway est aussi immortelle et dépersonnalisée que Ketchup qui ne produit que de la sauce tomate. Il suffit que des scientifiques (n’importe qui pouvant l’être) se regroupent dans un labo (là on voit tout de suite qu’il faut de l’argent) pour que des études soient menées et qu’il soit éventuellement découvert un remède contre la mort. Et malgré le très grand nombre de l’Oréal, d’Aventis et de Servier dans le Monde, malgré la montagne de bêtes sacrifiées, il n’en sort pas grand chose de miraculeux mais bien des dioxines et trop de Tchernobyl. 
Solar Impulse ? Un jour il nous bombardera.



Tout de même, c’est dans le secteur de la santé que les plus purs et importants miracles ont été accomplis. Mais comme la guérison d’une leucémie par greffe de sang de cordon n’épargne pas d’être broyé par un camion (autre miracle) le lendemain, nous ressentons constamment notre vieille angoisse fondamentale.

Et puis il y a le mur de l’écologie ou de la démographie qui nous explose à la figure et qui nous montre l’absurdité ou la folie de notre course à la fois individuelle et collective.

De sorte que le vrai miracle réside désormais dans la masse humaine entière et par le biais de son attitude, non de sa production, non de ses découvertes. La Solution semble désormais se cacher quelque part dans Internet et ce qui lui est associé. Nous passons donc notre temps à creuser dans la Mine internet à la recherche de la Pépite.

Il n’est qu’à observer ce que dit le Net. Ca forme deux classes. Une classe de dires qui exprime des critiques de la situation portant sur tous les domaines. Et l’autre classe de dires qui consiste en des exhortations à freiner, à économiser. (la pub continuant, pour sa part, à proposer de consommer et ressortant alors comme déconnectée du Doute qui gagne les esprits)

La seule solution nous apparaît désormais dans notre attitude qui doit devenir plus frugale.
Quel choc culturel !
 
Alors que la Solution avait si longtemps semblé être dans un Graal à trouver, à conquérir, il s’agirait aujourd’hui de ne plus rien chercher, de ne plus rien conquérir, sinon en manière de « Après moi le déluge »

Et la façon que nous avons de régler ce choc consiste soit à entamer personnellement, discrètement, sans surseoir, notre propre chemin de Damas du consumérisme, soit à rompre avec la vision égalitariste, humaniste, pour accaparer le plus possible de biens, pour notre seul compte, tel un écureuil déréglé, en excluant les visions en Arche de Noé collective et en allant au contraire vers ça

Dans cette décadence, il n’y a quasiment aucune place pour les scientifiques ou les chercheurs (décadence selon l’ancienne vision. Ce n’est pas forcément une décadence absolue). Ils savent qu’ils ne sont plus espérés comme des Curie. Ils gèrent les affaires courantes et toute transcendance est éteinte d’un bout à l’autre de tous les Jussieu.


Et quand je parle de lumière sur Jussieu : Il y avait, 30 ans plus tôt, à un des 4 coins de la faculté, tout en haut du bâtiment en grille, une sorte de serre rontonde constamment éclairée de quelque lampe à UV qui donnait donc une lumière violacée sur fond vert.
Peu de gens de la fac se rendaient dans cet endroit mais sans rien savoir de ce qui s’y passait, ce machin donnait l’impression qu’il y avait bel et bien un endroit où des génies recherchaient la pierre philosophale.
(Dans le genre, il y avait aussi son gros calculateur)

De cette serre, il sera sans doute sorti des applications pour la reproduction des plantes ou pour la cuture des tomates hors sol, mais bon, quand on voit le goût qu’elles n’ont pas ces tomates...

Toujours sur ce plan des transcendances incarnées par quelque endroit ou objet et toujours sur Jussieu. Il y avait le vieil amphi de la rue Cuvier où les Curie avaient maraudé, il y avait la côte de baleine au jardin des plantes voisin, il y avait une foultitude de choses dans le genre qui nous reliaient les chercheurs et étudiants à des transcendances. Le fait d’avoir éliminé toutes ces choses aura contribué à la perte de ces auras sans qu’aucune nouvelle ne vienne s’y substituer, sinon celle de l’argent puisque pour rénover, pour monderniser, pour casser l’ancien, il faut de l’argent, rien que de l’argent.


Dans les débuts de l’industrialisation, ce sont les choses et les procédés qui ont été industrialisés. Les pilotes de ces machines étaient encore des personnalités construites à la Champolion, à la Lavoisier. Puis, à force d’avoir industrialisé tout, l’enseignement comme la guerre, la bouffe comme la justice, le logement comme la culture, les esprits sont devenus inéluctablement industrialisés. Même l’amour, même ce qu’on en dit, même le sexage, s’est formaté. Tu sors de la norme t’en prends pour 274 ans de tôle.

La seule solution à l’immortalité semble donc passer par la case prison.



Nous nous serions mis au bouddhisme il y a 2500 ans, nous ne serions probablement pas devant un tel désanchantement ni devant un tel Mur, mais bon, on ne va pas refaire l’Histoire.


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