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eddooh 19 novembre 2009 17:21

Comme promis, je vais tenter de développer avec un peu plus de clarté mon point de vue, puisque j’ai l’impression qu’il a été mal compris.
Tout d’abord, sachez que je ne suis pas pro-Hadopi, loin de là. Lorsque le directeur de la SACEM est venu participer à une conférence dans mon école l’année dernière, j’ai été parmi les premiers à prendre la parole pour dire tout le mal que je pensais du dispositif Hadopi.
Partant de là, le but de mon article n’était pas du tout de ridiculiser la contestation contre Hadopi, ni même de dire qu’il fallait abandonner le combat. Mon seul objectif était de poser la question suivante : finalement, est-ce que tout cela va vraiment changer quelque chose ? Mon point de vue est que non. Je pense que la situation dans un an sera la même qu’aujourd’hui, et elle sera aussi la même qu’il y a un an. C’est pourquoi je tenais à écrire cet article pour amener certaines personnes à relativiser un peu, et tenter de prendre du recul par rapport à la situation.

Comme je l’ai déjà dit, l’erreur a peut-être été de poster cet article sur AgoraVox, qui a sans doute été l’une des principales plate-formes de rassemblement des anti-Hadopi depuis le début de cette affaire. Beaucoup de gens (et j’en fais partie) comparent souvent F. Lefebvre à un « pitbull » qui essaye de mordre tout ce qui va contre ses idées, mais les commentaires qui ont suivi mon article ne sont pas vraiment différents d’un tel comportement. Vous avez lu mon article qui relativisait les conséquences d’Hadopi et vous en avez conclu immédiatement qu’il s’agissait d’un article pro-Hadopi défendant le gouvernement et les majors. Du coup, vous vous êtes dit « quelle honte ! un article pro-Hadopi ! » et vous avez sauté sur l’espace de commentaires pour me dire à quel point j’avais tort car Hadopi n’est pas une bonne loi. Le problème dans tout ça, c’est que je pense moi aussi qu’Hadopi n’est pas une bonne loi.

Je tiens à souligner tout d’abord que mon article parlait uniquement d’Hadopi. Pas d’Hadopi 3, pas du téléchargement légal, pas de Loppsi. Tout au long de mon article, il faut donc comprendre « Hadopi » dans son sens le plus restrictif possible, c’est-à-dire celui d’un système administratif visant à réprimer la pratique du téléchargement illégal d’oeuvres protégées.
C’est pourquoi quand certaines personnes me disent « vous avez tort, car cela profite aux majors car leur but est de limiter l’offre culturelle à leurs volontés et de transformer l’art en marchandise », je réponds que ce n’est tout simplement pas de cela que je parlais. Je ne vois vraiment pas en quoi Hadopi en tant que service administratif, informatique et technique conduit à une réduction de l’offre culturelle en France. Certes, on peut élaborer une théorie générale sur la volonté future des majors françaises, mais mon article ne portait pas là dessus.
Notamment, kiouty (et d’autres) ont écrit : « Ce n’est pas que les musiques mais tout un ensemble d’offres auxquelles on n’aura plus accès. L’internaute français aura comme horizon culturel que ce que l’industrie culturelle aura décidé qu’il pourra avoir et surtout acheter. Tout ce qui est dehors de ce champ est proscrit. C’est ça, le but »officiel« d’HADOPI, au fond. »
Non, le but d’Hadopi (l’Hadopi dont je parlais dans mon article) n’est pas celui-là. Le but d’Hadopi est de recevoir les plaintes des maisons de disque qui ont relevé des adresses IP supposément impliquées dans des téléchargements considérés comme illégaux. Par exemple, il faudra m’expliquer en quoi la loi Hadopi en elle-même interdit à des sites comme Jamendo de continuer à se développer. Peut-être que la labellisation des « sites légaux » prévues par Hadopi 3 conduira effectivement à limiter l’offre à la volonté des majors ; mais ce n’est pas le cas d’Hadopi 1 & 2.

Sur un autre registre, je remarque au fil des mois qu’AgoraVox, en plus d’être une plate-forme très majoritairement anti-Hadopi, est aussi une plate-forme relayant assez largement les idées de théories du complot (il suffit de consulter les articles sur le 11 septembre, le « nouvel ordre mondial » ou les causes de la crise économique pour s’en convaincre). Je ne dis pas que tous les commentaires d’au-dessus relaient ces théories, loin de là, mais on sent parfois ce petit côté conspirationniste pointer dans certains avis. C’est aussi cet aspect là dont j’essaie de m’écarter, cette sorte de paranoïa qui consiste à penser que Sarkozy et son gouvernement déjeunent tous les matins avec les présidents des majors pour décider de la prochaine loi qu’ils vont passer pour contrôler l’Internet. Réduire l’affaire Hadopi à une vision aussi simpliste, c’est comme passer de « il y a quelques zones d’ombre dans le 11 septembre » à « Georges Bush et les sionistes ont orchestré le 11 septembre », ou encore passer de « il y a parfois connivence entre le monde politique et le monde financier » à « le monde est contrôlé par une secte secrète de dirigeants politico-financiers qui agissent en coulisse depuis des millénaires ». Non seulement c’est simpliste, mais cela a parfois contribué à l’image que les internautes anti-Hadopi ont pu avoir dans la population « profane » pendant l’affaire Hadopi (les fameux « cinq gus dans un garage »). C’est un problème récurrent que je trouve dans les articles de la Quadrature du Net ou de Numerama : même si j’ai entièrement adhéré à ces articles pendant longtemps, je me rends compte maintenant que faire un amalgame constant entre un projet de loi sur le téléchargement illégal et une « volonté supposée des dirigeants politiques d’orchester un complot pour contrôler l’Internet » peut nuire à la crédibilité du propos.

Cela étant posé, mon article, comme je l’ai écrit plus haut, visait avant tout à désacraliser Hadopi et ses conséquences. Ma théorie est que, finalement, cette loi a créé une polémique incroyable pour finalement très peu d’effets. Ce n’est qu’une théorie, et je ne prétends bien sûr pas posséder la vérité. Cependant, j’essaye d’établir une comparaison avec la DADVSI. En 2006 lorsque cette loi a été votée, une sorte de panique a parcouru les internautes français, qui s’exclamaient que tous les téléchargeurs, y compris M. Tout le monde et Mme Michu, allaient passer 3 ans en prison et payer des amendes astronomiques à cause de la DADVSI. 3 ans plus tard, on se rend compte que cela ne s’est pas produit comme cela. Les rares condamnations ont été dirigée soit vers des gros téléchargeurs (qui ont écopé d’une amende relativement faible au regard de ce qui est prévu par la DADVSI), soit vers des administrateurs de trackers privés ou de gros uploaders (j’entends par ‘uploader’ l’uploader initial, c’est-à-dire la personne qui upload le fichier torrent sur un site).

Evidemment, si l’on prend la loi au pied de la lettre et qu’on imagine ce qui pourrait se passer dans le pire des cas, il est clair que les abus pourraient être énormes : injection de fausses adresses IP, disparition de la présomption d’innocence, condamnations abusives, décisions sans preuves (ou sur des preuves bancales, comme l’adresse IP), etc. Mais c’est justement ce raisonnement (que j’ai moi même pratiqué depuis le début de l’affaire Hadopi) que j’ai essayé d’écarter pour tenter de voir quelles seront les conséquences réelles (et non potentielles) d’Hadopi. Pour moi, ceux qui s’indignent de tous les abus potentiels d’Hadopi devraient tout autant s’indigner de l’article 49-3 de la Constitution qui est là depuis 50 ans, et qui pourrait permettre à un gouvernement de faire bien plus que contrôler l’Internet. En théorie, l’article 49-3 est dangereux car le pouvoir pourrait en abuser ; mais en pratique, son utilisation en politique est exceptionnelle. Pour moi, ce sera la même chose pour Hadopi : personne n’a intérêt à en abuser et à en faire un système inquisitoire rendant des jugements arbitraires et non prouvés. Pour ceux qu’une telle perspective inquiéterait, rappelez-vous que nous disposons en France et en Europe d’un certain nombre de garde-fous qui n’hésiteraient pas une seconde à condamner une utilisation abusive d’Hadopi par le pouvoir (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, CJCE et CEDH).

Encore une fois, l’avenir me donnera peut-être tort, je ne l’espère pas. Mais ce que je pense qu’il va se produire, c’est qu’Hadopi ne va finalement rendre que très peu, voire aucune condamnation. Ceci était très bien démontré récemment sur le blog d’un avocat parisien dont je n’arrive malheureusement plus à retrouver l’adresse. Dès les premières condamnations d’Hadopi (qui n’arriveront que dans très longtemps), l’ordonnance pénale va être contestée, l’affaire va être transmise à un juge. A ce moment là, je pense qu’Hadopi connaîtra ses premiers déboires judiciaires face à l’absence de preuves matérielles contre l’usager (faiblesse de l’adresse IP comme preuve, etc.)

Je vous vois déjà me répondre « oui, mais désormais il y a la négligence caractérisée ». Je suis d’accord. Mais le problème sera sans doute le même : assez rapidement, face au grand nombre de protestations, d’appels, de renvois devant le Conseil d’Etat, et surtout de saisies de la CEDH, je pense que cette mesure va très vite tomber à l’eau. Et si la moindre décision rendue décrédibilise la notion de « négligence caractérisée », cela fera jurisprudence et Hadopi deviendra un cadavre juridique.

C’est ce qui me mène à une autre idée que j’essayais d’exprimer et qui diffère un peu de l’avis général : les majors ne sont pas le diable en personne prêtes à réduire le monde en poussière, simplement parce qu’elles n’ont pas intérêt à l’être. Ce sont avant tout des entreprises commerciales qui cherchent à vendre un produit. Si elles se mettent à dos la moitié des internautes français en condamnant abusivement plusieurs millions de personnes pour négligence caractérisée, cela nuira plus qu’autre chose à leur stratégie commerciale. C’est aussi pour cette raison que la loi DADVSI n’a pas été plus appliquée. D’une manière générale, les majors ont plutôt eu intérêt à conclure des deals à l’amiable pour résoudre le litige avec une amende à hauteur de quelques milliers d’euros. Envoyer Mme Michu et des millions d’autres personnes devant le tribunal pour leur faire passer 3 ans en prison aurait sans doute très largement déplu (euphémisme) à la population.

Ma réponse est la même en ce qui concerne la double peine DADVSI/Hadopi. Au contraire de ce qui a été dit dans certains commentaires, je n’ai jamais écrit que Hadopi abrogeait les dispositions de la DADVSI. Simplement, je fais encore une fois la différence entre théorie et pratique. Même si, théoriquement, un internaute pourrait être poursuivi et condamné par Hadopi, puis écoper de 3 ans de prison et 300 000€ d’amende sous le régime DADVSI, il n’y a quasiment aucune chance que cela se produise en pratique. Comme je l’ai déjà dit, si le but des majors étaient d’enfoncer le plus possible les pirates, elles l’auraient fait allègrement depuis 2006. Elles ne l’ont pas fait. Pourquoi se mettraient-elles soudain à le faire en 2009 ? (au risque de me répéter, ce n’est pas dans leur intérêt)

Très rapidement, je finirai par l’argument de la disparition de la démocratie et du pouvoir des citoyens. Aux dernières nouvelles, je ne vois pas en quoi le vote d’Hadopi était anti-démocratique. J’y étais opposé et je regrette que cette loi ait été votée, mais on ne peut pas non plus inventer des faux arguments pour discréditer Sarkozy. Lui, son gouvernement et sa majorité ont été élus par les électeurs il y a 2 ans. Certes, on ne pouvait pas forcément savoir qu’Hadopi en découlerait. Mais de là à dire que « les citoyens ont perdu le pouvoir qu’était censé leur donner la démocratie », je ne vois vraiment pas de quelle manière le gouvernement est allé à l’encontre de la Constitution française actuelle.

Bref, j’espère que cette longue explication aura permis d’apporter un peu de clarté à mon article, auquel il en manquait sans doute un peu.
En tout cas, merci de m’avoir lu !



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