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Walid Haïdar 27 février 2012 01:30

Bonjour, bonjour !


C’est assez intéressant de voir comment les gens parlent du Sénégal depuis l’extérieur.

Le constat de l’article, selon lequel le Sénégal est sur une pente assez dramatique depuis à peu près l’indépendance, est tout à fait juste (je dis ça en étant moi-même anti-colonialiste).

Par contre il y a dans l’article une erreur assez grossière : 

Le parti de Senghor puis Diouf, n’est pas le PDS, mais le PS : le parti socialiste.
Le PDS c’est le parti de Wade (le président sortant) : le Parti Démocratique Sénégalais (centre droit). Wade n’a été que très brièvement en poste de responsabilité au PS, suite à quoi il a formé le PDS, en 1974.

D’autre part vous écrivez : « Et la Casamance (à majorité animiste et chrétienne), qui pourrait être le grenier à blé du pays, est en proie à une guerre civile larvée depuis que le gouvernement central a tenté d’y imposer la monoculture de l’arachide. »
Ce n’est pas faux, mais il ne faudrait pas croire que c’est aussi simple. Il y a en Casamance un enjeu de trafique de drogue, qui a depuis longtemps pris le dessus sur la question de l’arachide, qui n’est même plus évoquée de fait. Comme la Guinée Bissau frontalière et dans une moindre mesure la Gambie de l’autre côté de la région, la Casamance est en effet devenu la proie des passeurs et trafiquants de drogues (cannabis, krach, cocaïne...).

A ce propos, Dakar tend aussi de plus en plus à devenir, à travers son port, la plaque tournante de la sous-région en matière de drogue, essentiellement entre la sous-région, l’Amérique du sud et l’Europe. Cela est directement lié à l’inertie politique, puisque les gens au pouvoir et leurs collègues de travail (les douaniers, ceux qui trafiquent, ceux qui reçoivent les valises de billets du président...), ont les mains tellement sales qu’ils n’envisagent pas un changement de régime qui entraînerait non seulement un risque de remise en cause de leur part du gâteau, mais aussi, un risque de poursuites assez sévères. La corruption de manière générale, est le coeur pour ne pas dire l’essentiel de la cause de l’apathie politique, et donc économique, du pays.

Il est clair qu’étant donnée la gestion irresponsable, absolument autiste à toute planification sérieuse et orientation agricole voire industrielle, le chômage (à noter tout de même que les chiffres du chômage ne tiennent pas compte de ce que l’économie du pays contient une part importante informelle), la dégradation des services publiques, beaucoup de gens sont en colère. Plus qu’en Europe ? je sais pas, peut-être. Autant qu’en Grèce ? CERTAINEMENT PAS !

En réalité il n’y a pas eu beaucoup d’agitation, contrairement à ce que les médias occidentaux et ceux de l’opposition ici, ont raconté. Le plus gros des « émeutes » qu’il y a eu, c’est suite à une grenade lacrymogène qui s’est retrouvée (bavure ? accident ?) dans une mosquée pendant une prière un peu particulière. La mosquée étant Tidjiane (une confrérie soufie, majoritaire dans le pays), cela a provoqué l’indignation de beaucoup de jeunes qui sont venus brûler quelques tables en bois en centre ville dans le quartier de la mosquée. Pour donner une idée de la violence : aucune voiture brûlée en centre ville, quelques unes en banlieue (comparez donc ça au 14 Juillet en France). Aucun vandalisme notable, en dehors de quelques éléments mobiles légers brûlés (pneus, tables, banquettes en bois qu’on trouve dans la rue). La nature contenue des « soulèvements », et le nombre assez faible des participants révèle que ces soulèvements ne sont pas spontanés et imprévisibles. Les forces de l’ordre ont parfaitement quadrillé le terrain et contenu les maigres cortèges de manifestants, qui ne se sont montrés « violents » qu’à l’occasion de l’épisode de la mosquée, et à la périphérie de meetings à demi avortés, de candidats de l’opposition.

Le plus grave pendant cette période de quelques mois d’instabilité relative, ce sont les 7 morts dans l’ensemble du pays et sur l’ensemble des violences. Parmi ces morts, on compte un policier et un jeune tué par un sbire d’un candidat opposé à Wade (le jeune l’aurait menacé, mais à noter tout de même que ce mort fut le premier de la série, au tout début de la période d’agitations).

Quand Youssou N’Dour a fait sa manif sur la grande place de l’indépendance, il y avait entre 20 et 50 manifestants. Ils ont été refoulés parce que toute manifestation est interdite place de l’indépendance, car c’est un point stratégique en terme de sécurité, et c’est un lieu qu’il serait facile d’occuper, et ça ferait « place Tahrir », les millions de révoltés en moins, mais bon... Le président interdit donc les manifestations ici, mais nul part ailleurs, contrairement aux mensonges de certains médias.

Quand l’opposant Idrissa Seck a voulu faire un meeting place de l’indépendance, il y avait un millier de personnes pour le soutenir. Frustrés de ne pas avoir accès à la place, ils ont brûlé quelques pneus et sont rentrés chez eux le soir même : c’est dire l’ampleur et la détermination de la contestation !

Quand quelques semaines plus tôt une méga manifestation de l’opposition avait été annoncée place de l’obélisque (sur la grande corniche, à la sortie du centre-ville), ils étaient quelques centaines, peut-être un millier, sachant que Dakar fait 3 millions d’habitants : impressionnant !

Dans le même temps, le président réunissait quelques dizaines de milliers de personnes lors de son meeting dans une ville de province. Certes, ces personnes viennent pour trois bricoles offertes en échange (et puis pour s’amuser aussi), mais ça en dit assez long, tout ça, sur la faible détermination des gens à le faire partir pour mettre les guignols d’en face à la place.

Aujourd’hui, les élections se sont passées dans un calme absolu, avec un taux de participation très élevé parmi les inscrits (il semblerait que la tendance soit vers un second tour Wade vs Sall).

Tout ceci étant dit, il n’est pas impossible que si Wade l’emporte (ou annonce qu’il l’a emporté), ça chauffe un peu plus, éventuellement avec un peu d’aide par ci par là de la part des vautours de tous bords...

A ce propos, vous avez mentionné Bolloré d’une part, et les attributions de marchés sans appels d’offre par Karim Wade (le fils). C’est un point assez intéressant, car justement Wade a vendu le port autonome de Dakar à Dubaï Port World, alors que Bolloré considérait le fruit juteux comme lui étant destiné. Bolloré a juré de faire payer à Karim, et Karim n’a donc vraiment pas intérêt à ce que son père perde, du coup. Quant à Pasqua (le meilleur copain d’Asselineau), c’est le copain de Wade, le très grand copain de Wade...

Après relecture, j’ai l’impression que mon message est limite pro-Wade, même si je dis que sa gestion du pays est une catastrophe, que c’est un corrompu et un corrupteur. Je n’ai pas voté aujourd’hui (j’ai la double nationalité). Aucun candidat n’a le début du commencement d’une idée de la voie à suivre pour l’avenir du pays, et même si l’un avait cette idée, il n’aurait pas du tout la puissance politique nécessaire pour combattre avec succès l’océan de corruption dans lequel on baigne, et qui gangrène tout, paralyse tout.

Bref, c’est la merde, et le pire, c’est que je crains qu’il ne se passe rien, ou que les gentils blancs viennent nous casser les couilles en foutant la merde (comme ils ont commencé à la faire en prétendant dans leurs médias qu’il y avait une révolte populaire alors que grosso-modo, y a juste quelques prétendants à la couronne qui se font mousser en organisant quelques soulèvement rachitiques par ci par là).

En tous les cas, vivant la chose de l’intérieur cette fois-ci, je n’ai plus aucun doute sur la capacité des médias occidentaux à raconter n’importe quoi dans le sens de je ne sais quel vent, mais qui sent pas très bon...



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