l’AXE DU BIEN
Situé à quelques encablures de la Corse, l’archipel de La Maddalena a tout du paradis pour touristes. Mais en fait de baigneurs, ce sont les sous-marins nucléaires de la base navale US de San Stefano qui pataugent près des côtes. Et quand ils s’échouent sur les récifs, mieux vaut ne pas croiser dans les parages.
NICHÉE AU COEUR D’UN PARC NATUREL au nord de la Sardaigne depuis 1972, la base de San Stefano accueille les sous-marins à propulsion nucléaire de la VIe flotte américaine. Ces derniers viennent y batifoler, s’y ravitailler, faire des réparations en cas de petit bobo, ou remplir leurs réservoirs de carburant nucléaire, en attendant d’aller exporter la démocratie dans une terre de conquête à portée de missile.
Afin de faire avaler cette pilule à la population, les États-Unis ont commencé par construire un quai pour accueillir un bateau atelier où venaient accoster les sous-marins. C’était plus discret. Puis, avec les années, les constructions à terre se sont multipliées, des tunnels ont été creusés, des saloperies balancées, sans que jamais l’on ne consulte les insulaires.
Croyant le moment enfin venu, le Pentagone se préparait discrètement à bétonner l’île en grand avec la bénédiction du « padrino » Berlusconi.
Manque de bol, le 25 octobre 2003, le sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire USS-Hartford s’échoue lamentablement sur des récifs peu après avoir quitté San Stefano. Les populations riveraines n’en auraient jamais rien su si des fuites venant de l’équipage n’avaient obligé l’US Navy à rendre l’affaire publique.
Les tentatives des États-Unis pour minimiser la gravité de l’accident n’ont pas rassuré grand monde, malgré le concours empressé des autorités italiennes et françaises.
La patronne des armées tricolores, Michèle Alliot-Marie, a pourtant été très claire : tout va très bien madame-la-marquise, ce n’est qu’une petite éraflure de rien du tout. Un bobard difficile à avaler, l’accident ayant fait du dégât [1].
Du coup, fidèle à sa mission, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire s’est porté au secours de la ministre : pas la moindre trace de radioactivité artificielle anormale, vous pouvez dormir tranquille.
Seulement voilà, les Corses connaissent la chanson.
En 1986, le nuage radioactif de Tchernobyl n’avait officiellement pas franchi les frontières et pourtant, depuis, les cas de cancers de la thyroïde se multiplient sur l’île.
Pour en avoir le coeur net, l’association de défense de l’environnement bonifacienne ABCDE et le WWF Gallura de Sardaigne ont demandé au labo indépendant de la CRIIRAD d’effectuer des analyses. Si les résultats confirment que l’accident n’a pas provoqué de fuite, ils montrent aussi la présence d’éléments radioactifs.
Dans les algues de La Maddalena, on trouve en effet une concentration élevée de thorium 234, résultat confirmé par un organisme officiel italien. Les analyses mettent aussi en évidence la présence de plutonium dont l’origine militaire ne fait pas de doute. Mais à ce jour, la source exacte de ces pollutions reste mystérieuse. Ce sont peut-être les retombées empoisonnées des essais atomiques des années 50 et 60.
Toutefois « on ne peut exclure qu’une partie de la contamination soit imputable au fonctionnement de la base militaire », note prudemment la CRIIRAD. Profitant du bruit fait autour de l’affaire, le physicien italien Cortellessa jette un piment dans cette bouillasse radioactive : le cobalt 60. Découvert en 1989, « le cobalt 60 ne peut provenir que de réacteurs nucléaires [...] et à La Maddalena il y a des sous-marins nucléaires américains », déclare-t-il à la presse sarde.
À quoi s’ajoutera une étude internationale indépendante de septembre 2004, montrant une forte concentration de minuscules fragments hautement radioactifs dans les algues...
Bref, si le Hartford est disculpé, la base de San Stefano, elle, se retrouve sur le banc des accusés. Mais le verdict n’est pas pour demain. Pour ne pas trop charger le dossier, l’état des lieux radiologique avant la construction de la base est toujours « secret défense » et les mesures de la radioactivité restent encore insuffisantes.
Les poisons radioactifs peuvent donc continuer à s’accumuler lentement dans la chaîne alimentaire, jusqu’au jour où ils se retrouveront dans les assiettes. Et si une catastrophe se produisait, tant pis pour les Corses : l’État n’a pas prévu de plan d’urgence en cas d’accident nucléaire dans les Bouches de Bonifacio. Il est vrai que les frontières françaises sont réputées étanches à la radioactivité.
[1] Le commandant du Hartford et son supérieur hiérarchique ont été relevés de leurs fonctions et 6 membres d’équipage ont été sanctionnés. Les réparations, terminées en janvier 2004, auront coûté 9,4 millions de dollars.
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