Au petit jeu du « plainte contre plainte », celle des forces de l’ordre est toujours traitée plus diligemment. Tous les policiers de France et de Navarre le savent. Et en profitent pour tenter d’échapper aux sanctions. « L’ultime arme de défense du fonctionnaire de police auteur de violences illégitimes est le dépôt de plainte pour outrage et rébellion à agent, note la Commission nationale Citoyens-Justice-Police, un observatoire mis sur pied par des associations de défense des droits de l’homme, le syndicat des avocats et celui de la magistrature. Ainsi, les personnes sont regardées par les autorités judiciaires non pas comme des victimes mais comme des auteurs du délit. »
Cachez ces bavures que je ne saurais voir. Montrez-moi plutôt des outrages et de la rébellion. Une stratégie payante pour la police, selon Fabien Jobard, un chercheur du Centre de Recherches sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales (CESDIP) : « Celui qui se plaint de violences policières mais est également sous le coup d’une enquête pour outrages a de trois à dix fois moins de chances de voir son cas aboutir à une sanction que la victime non poursuivie par la police. » La technique de la contre-plainte ne suffit pourtant pas à expliquer l’indulgence dont bénéficient trop souvent les forces de l’ordre. Enquêter sur les violences policières relève en effet de la gageure tant l’esprit de corps règne dans les rangs. La très officielle Commission nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS), une autorité indépendante chargée d’enquêter sur les incidents mettant en cause la police, en sait quelque chose. Dans son dernier rapport annuel, publié il y a quinze jours, elle déplore cette culture qui « conduit des fonctionnaires à se solidariser et à uniformiser leurs dépositions au risque de couvrir les actes illégaux de collègues ».
Cette omerta policière explique par exemple l’impunité dont ont bénéficié les agresseurs de Baba Traoré il y a quatre ans. Ce Malien résidant en Espagne et ne parlant pas un mot de français est interpellé par la Police de l’Air et des Frontières (PAF) à la gare d’Hendaye et conduit au commissariat. Là, selon ses dires, il est violenté avant d’être relâché une demi-heure plus tard. Hospitalisé six jours, Baba Traoré porte plainte. Mais l’enquête va se terminer par un non-lieu. Le juge d’instruction était en effet incapable de déterminer avec précision l’auteur des coups, alors même que la victime l’avait identifié sur photo. « On peut facilement en déduire que les policiers s’étaient mis d’accord pour ne pas coopérer avec les enquêteurs », estime aujourd’hui Amnesty International, auteur d’un rapport très sévère publié le mois dernier. Aucune sanction n’a été prise à l’encontre des policiers de la PAF.
Que fait la police des polices dans ces cas-là ? L’Inspection générale des Services (IGS) en région parisienne et l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), qui enquête dans le reste de la France, ne parviennent pas toujours à faire la lumière sur les affaires sensibles.
Au début de l’année, deux agents de police impliqués dans une arrestation musclée à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) ont ainsi bénéficié d’un non-lieu. L’interpellation, après un vol et une course-poursuite en voiture, avait mobilisé près de vingt-cinq policiers. Les jeunes délinquants, roués de coups, avaient dû être hospitalisés. Mais l’enquête, faute de témoignages, n’a jamais pu déterminer avec précision les auteurs du passage à tabac. Parfois, la police des polices fait aussi preuve de mauvaise volonté. Comme dans cette affaire d’utilisation massive de gaz lacrymogène dans un restaurant du 18e arrondissement de Paris, à la Saint-Sylvestre 2003. Un des convives intoxiqués meurt quelques heures plus tard. Mais l’IGS se révèle incapable de désigner l’auteur du gazage, parmi les sept policiers soupçonnés. Alors même que le coupable a bien dû, à un moment ou à un autre, demander une recharge de gaz pour remplacer celle utilisée et compléter ainsi son équipement !
Aux failles de l’enquête vient parfois s’ajouter la mansuétude de la justice. Même, les faits les plus graves, les bavures mortelles ne sont pas toujours réprimés avec grande sévérité. Au printemps 2000, Riad Hamlaoui est abattu à bout portant par un Stéphane A., un policier lillois. Hamlaoui n’était pas armé mais avait le tort d’être le passager d’une voiture présumée volée. Lorsqu’il s’extrait du véhicule, le coup de feu part, la balle lui traverse le cou. La mort instantanée. Le fonctionnaire de police est traduit devant la cour d’assises, radié de la police et condamné à... trois mois de prison avec sursis ! A l’audience, le président de la cour justifiera la mansuétude du jugement en mettant en cause la formation « insipide » dispensée au fonctionnaire par l’école de police. Mais n’ira pas jusqu’à demander l’arrestation immédiate du responsable de ladite mauvaise formation, à savoir le directeur général de la Police nationale !
Les sanctions pleuvent... doux
La simple évocation d’une éventuelle impunité de la police fait hurler au ministère de l’Intérieur. Et la Place-Beauvau de brandir ses statistiques disciplinaires pour illustrer son intransigeance sur les principes. L’an dernier, 157 policiers ont été révoqués et 2 406 diversement sanctionnés, du simple avertissement à la suspension temporaire. De son côté, l’IGPN reconnaît que les accusations de violences policières sont en augmentation. Ses services ont en effet traité 724 plaintes en 2004, soit 18,49% de plus que l’année précédente. Mais, après enquête, la police des polices rejette comme infondées sept accusations sur dix...
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