Seymour Hersh ne partage pas de preuve irréfutable à travers son récit. Le quotidien britannique The Times, qui a relayé dans ses colonnes son enquête, souligne que la version des faits présentée par le journaliste repose sur une seule et unique source, dont l’identité reste soigneusement dissimulée. Tout juste sait-on que la personne qui s’est confiée à lui fait valoir une « connaissance directe de la planification opérationnelle » de cette opération de sabotage.
Il est étonnant qu’une révélation comme celle-ci soit relayée via une page personnelle et pas dans une publication renommée. D’ordinaire, « les journaux américains ne sont pas timides quand il s’agit d’allumer leur gouvernement », fait remarquer Isabelle Dufour à TF1info. La directrice des études stratégiques chez Eurocrise estime que "si ce travail était sérieux, ils l’auraient relayé. On ne publie pas un article aussi explosif sur un simple blog, on le vend à un titre prestigieux« , renchérit-elle. Des journalistes qui couvrent l’actualité américaine incitent eux-aussi à la prudence, d’autant que Hersh ne serait désormais »plus autant respecté par ses pairs" que par le passé.
Il est important de souligner que rien ne permet aujourd’hui de contredire la version apportée par Seymour Hersh à travers son article. Gardons néanmoins à l’esprit qu’au cours des dernières décennies, son travail à plusieurs fois été remis en cause et contesté. En 1997, le Los Angeles Times réagissait à la publication d’un livre du journaliste, émaillé de révélations sur l’ancien président Kennedy. Un ouvrage qui mettait « hélas » surtout en lumière « les lacunes du journalisme d’investigation », davantage que celles de l’ancien chef d’État.
Des critiques récurrentes sont formulées au sujet de ses récits : de vastes allégations de conspirations, basées sur de maigres éléments, sans preuves tangibles et à grand renfort de sources anonymes présentées comme des « officiels » évoluant dans les arcanes du pouvoir. Quand Hersh a remis en cause en 2015 le récit de la traque et de la mort de Ben Laden, démontant la version officielle des autorités, le média Vox a étudié en détails les éléments avancés par le journaliste. Il en ressortait que son histoire était « truffée de contradictions et d’incohérences ». Le Washington Post, quant à lui, ne se montrait pas plus tendre.
Plusieurs autres sujets d’actualité couverts par Seymour Hersh ont été accueillis froidement par la presse américaine. « Son article sur la Syrie [revenant sur l’action américaine en 2013, NDLR] a été refusé par le Washington Post, le quotidien estimant que les sources utilisées ’ne correspondaient pas à [ses] normes’. Il n’a pas non plus été publié dans le New Yorker », relatait Le Monde, alors même que le journaliste en est un « contributeur habituel ». Toujours dans le cadre du conflit syrien, le Guardian a pour sa part récusé point par point les thèses avancées par Hersh au sujet d’une responsabilité de la Turquie dans une attaque au gaz sarin à Damas. La version des faits portée par le lauréat du prix Pulitzer a été contredite, le quotidien évoquant une histoire « pleine de trous » remettant en question « la fiabilité de ses sources et de ses conclusions ».
Aux yeux du fondateur de Bellingcat, un très sérieux collectif d’investigation, les controverses qui ont accompagné les publications de Seymour Hersh au cours des dernières années doivent nous alerter. Eliot Higgins confie ainsi « ne pas lui faire confiance » et met en cause la faiblesse des sources sur lesquelles il s’appuie.
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