A quand la fellation citoyenne ?
Depuis quelques années, l’adjectif citoyen nous est servi à toutes les sauces. Démarche, attitude, cérémonie, on a eu même droit aux apéritifs citoyens. Maintenant, et aussi sur Agoravox, le média citoyen, on parle d’un journalisme de même acabit. Le terme citoyen, qui jadis était réservé à la Marseillaise, pour un peuple en armes, est passé dans le domaine public, tout ou presque est citoyen. Alors, pourquoi pas des pizzas et des fellations citoyennes ?
L’acte citoyen n’est pas un acte gratuit ou irréfléchi, il tend vers l’autre. C’est un acte volontaire, altruiste, en apparence sans calcul personnel ou politicien.
Le citoyen, c’est le sans-culotte de la Révolution française, celui qui s’oppose au ci-devant de la noblesse. Il se doit d’être généreux, de penser à l’autre et tout cela dans un esprit laïc de fraternité. Mais le substantif citoyen ramène aussi aux heures noires de la Révolution. On frémit à la question : Citoyen, quel est ton nom, prononcée par un Fouquier-Tinville envoyant Danton et Lavoisier à la guillotine.
La fraternité ayant fait son temps, elle aussi comme le civisme et de même que l’union des prolétaires du monde entier, la référence citoyenne s’est donc imposée.
Le citoyen, c’était aussi hors de France, l’appellation sous laquelle Zaïrois et Zaïroises devaient s’interpeller pour se saluer au temps du mobutisme. Tout cela au nom de l’authenticité qui faisait abandonner aussi bien le Monsieur ou Madame que le costume cravate et les prénoms chrétiens. A la même période, le Rwanda voisin avait lancé sans grand succès les termes de militant et militante au temps d’Habyarimana, avant le génocide.
Mais revenons à la France. Dans les immeubles, fleurissent les apéritifs citoyens, entre voisins de diverses origines, ou pour célébrer des événements d’intérêt collectif. Il ne faut pas confondre apéritif citoyen et apéritif national ou nationaliste. L’apéritif national est laissé avec mépris aux lepénistes. Quand il est citoyen, tout le monde y boit quelle que soit l’origine ethnique. Les charcuteries sont présentées à part pour n’offusquer personne. Il y a même des jus de fruit pour les musulmans et aucun ne s’offusque si un juif pratiquant ne fait pas la vaisselle ou ne vide pas la poubelle parce qu’on ne travaille pas le samedi, jour de shabbat !
On peut extrapoler et envisager une cuite citoyenne, non plus après une victoire d’une équipe black-blanc-beur en Coupe du monde ou bien d’Europe. Notre équipe étant devenue faible, on se contentera d’un simple verre après un petit un-zéro contre le Luxembourg et la Moldavie. Ne me faite pas dire que je méprise Luxembourgeois et Moldaves, cela ne serait pas un comportement citoyen. Une cuite citoyenne peut avoir lieu après un match opposant les Lusitanos d’une banlieue parisienne à des Arméniens de Marseille. Un match voulu sans violence où les deux capitaines ont ânonné en français et dans leur langue d’origine, un texte contre le racisme plein de tautologies et de truisme. Ils sont même entrés sur le stade en tenant des enfants par la main sans que personne n’émette de doute sur ce qu’ils auraient pu faire au vestiaire avec ces gosses.
Mais retournons au thème initial que le titre évoque. Que n’imaginons-nous des meetings politiques dans un Zénith, une Mutualité ou un Palais des Congrès pleins à craquer avec, à la tribune, un leader de la gauche républicaine s’adressant à une assistance galvanisée scandant des hurrahs. Enfin un tribun de qualité osant un rassembleur et christique : Prenez et sucez car ceci est mon gland ! Cela nous changerait des répétitives « nuits du doute », à défaut de nuit du 4 août, orchestrées par François Hollande (to suck or not to suck, that is the question) !
Et puis, me revient une expression ordurière comme savent si bien en inventer les Espagnols et qui dit à peu près : Je me gargarise avec les menstruations de la Madone (ma maîtrise de l’espagnol est trop faible pour vous donner l’expression en version originale). Certaines madones politiques pourraient très bien reprendre cet aphorisme ibère en compte en se gargarisant pour une fois d’autre chose que de mots creux. Cela irait comme un gant à un programme dont un des slogans est : ma plus belle histoire d’amour, c’est vous. Nous inciter à des fellations justes et participatives, nous rendrait sa vigueur aux « membres » les plus tièdes, amoindris par tant d’austérité.
Mais la référence à la citoyenneté et l’utilisation de l’adjectif idoine n’est pas nouvelle chez les socialistes. Je me souviens de démarches effectuées auprès d’un Consulat de France en Afrique qui traînait les pieds pour accéder à ma démarche légitime. L’attachée culturelle, socialiste notoire, me dit en 1984, eh oui, ce n’est pas tout récent : Tout le monde hélas, n’a pas une démarche citoyenne dans cette ambassade ! Le ver didactique était déjà dans le fruit !
Je n’ai pas parlé du citoyen de droite ou bien du centre, il existe et il est souvent sincère, qu’il pardonne mon oubli. Hélas je ne voulais pas aborder le plus puissant et le plus contestable d’entre eux, car sa démarche est tout ce que l’on veut, sauf citoyenne et je suis las de le blâmer.
On parle de plus en plus de commerce citoyen, c’est-à-dire du moyen de se remplir les poches tout en caressant le consommateur et utilisant des emballages biodégradables. Cet amour du client n’empêche en rien les marges arrière. Nous avons déjà droit à la troisième gratuite pour l’achat de deux pizzas ! Pourquoi pas une pizza citoyenne offerte aux Restos du cœur pour l’achat de deux !
Le baptême citoyen est une sorte de cérémonie laïque et républicaine devant remplacer la liturgie chrétienne et porter les enfants sur les fonds de la République et non le baptistère. Mais nous n’avons, hélas, plus de nouveau poète qui tel un Aragon pourrait nous chanter : La plume est l’avenir de l’homme ! Le poète citoyen nous manque !
Reste enfin le journalisme citoyen qui serait supposé honnête à défaut d’être performant. Il est vrai que le journaliste féal, l’information tronquée, truquée et présentée de façon partiale et partielle par la presse et les médias professionnels permettent de douter de la qualité de l’information et oriente vers une autre forme de journalisme. Mais le fait d’être citoyen, exonère-t-il celui qui écrit de toute critique et surtout d’esprit critique. Cette citoyenneté supposée bénévole est elle un critère de véracité et d’honnête. Personnellement, je doute.
Le journalisme d’opinion n’a rien de citoyen, c’est un journalisme engagé qui doit respecter certaines règles en particulier concernant la calomnie et la diffamation. Or, que lit-on souvent dans les blogs et sur les forums, se voulant citoyens ? Quelques rares articles structurés ayant des références et une analyse réfléchie et agencée, mais hélas trop souvent des dénonciations de laborieux sycophantes ou bien des pamphlets partisans. Et puis, ceux qui écrivent font rarement acte de journalisme et aussi peu de citoyenneté. Ces forums sont utiles, j’y ai recours moi-même, mais la principale motivation est avant tout le plaisir d’écrire, de communiquer avec une petite touche de narcissisme, j’en conviens. Les rédacteurs, dont je suis, sont les futurs écrivains moyens de la génération d’internet. Ne cherchons pas plus loin en nous abreuvant de civisme.
Quand je pense à cette nouvelle approche entre citoyens, me revient à l’esprit la dernière déclaration provocatrice du patron de Ryan Air : Bed and blow-jobs (lire l’article de Gil Genappe du 28 juin sur Agoravox). Mais sa proposition n’a rien de citoyenne car s’adressant à la business class, haut lieu du privilège. Cette idée avait déjà été envisagée, avec l’humour ravageur qu’on lui connaît, par Jean-Marc Reiser dans un dessin des années 80 où il proposait cette option sur les vols Concorde d’Air France du fait de l’absence de trou d’air.
Rêvons un peu et imaginons cette option reprise à l’université, au bureau dans les cellules de partis. Rêvons donc à l’avènement de la fellation citoyenne. Une nouvelle forme participative et laïque de la plume oblative, débarrassée de sa composante mystique. Considérons une flûte enchantée intelligible par tous, sans sa composante franc-maçonne ésotérique ; des trompettes de la renommée mieux embouchées que celles de Brassens. Un retour au comportement des bonobos qui règlent les conflits entre groupes, non par l’agressivité, mais par des pratiques sexuelles diverses. Réinventons la bonobo attitude et notre existence n’en sera que plus belle !
J’aurais aussi pu évoquer le cunnilingus, je m’en excuse d’avance auprès de mes lectrices. J’avais le mot sur le bout de la langue. Du latin cuniculus, le lapin, et lingua, la langue. Je l’avais même proposé à une très aimable et élégante personne, comme approche citoyenne. Hélas, elle ne comprenait pas ma langue et m’a posé un lapin.
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